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1. « Laudato si’, mi’ Signore », - « Loué
sois-tu, mon Seigneur », chantait saint François d’Assise. Dans ce beau
cantique, il nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur,
avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous
accueille à bras ouverts : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère
la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les
fleurs colorées et l’herbe ».[1]
2. Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui
causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a
déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires
et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur
humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de
maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les
êtres vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et
maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui « gémit en travail
d’enfantement » (Bm 8, 22). Nous oublions que nous-mêmes, nous sommes
poussière (cf. Gn 2, 7). Notre propre corps est constitué d’éléments de
la planète, son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle
nous restaure.
Rien de ce monde ne nous est indifférent
3. Il y a plus de cinquante ans, quand le monde
vacillait au bord d’une crise nucléaire, le Pape saint Jean
XXIII a écrit une Encyclique dans laquelle il ne se contentait pas
de rejeter une guerre, mais a voulu transmettre une proposition de paix. Il a
adressé son message Pacem in terris « aux fidèles de l’univers »
tout entier, mais il ajoutait « ainsi qu’à tous les hommes de bonne volonté ».
À présent, face à la détérioration globale de l’environnement, je voudrais
m’adresser à chaque personne qui habite cette planète. Dans mon Exhortation Evangelii gaudium, j’ai écrit aux membres de
l’Église en vue d'engager un processus de réforme missionnaire encore en cours.
Dans la présente Encyclique, je me propose spécialement d’entrer en dialogue
avec tous au sujet de notre maison commune.
4. Huit ans après Pacem in terris, en 1971, le bienheureux Pape
Paul
VI s’est référé à la problématique écologique, en la présentant
comme une crise qui est « une conséquence...dramatique » de l’activité sans
contrôle de l’être humain : « Par une exploitation inconsidérée de la nature
[l’être humain] risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette
dégradation ».[2]
Il a parlé également à la FAO de la possibilité de « l’effet des retombées de
la civilisation industrielle, [qui risquait] de conduire à une véritable
catastrophe écologique », en soulignant « l’urgence et la nécessité d’un
changement presque radical dans le comportement de l’humanité », parce que «
les progrès scientifiques les plus extraordinaires, les prouesses techniques
les plus étonnantes, la croissance économique la plus prodigieuse, si elles ne
s’accompagnent d’un authentique progrès social et moral, se retournent en
définitive contre l’homme ».[3]
5. Saint Jean-Paul II s’est occupé de ce thème avec un
intérêt toujours grandissant. Dans sa première Encyclique, il a prévenu que l’être
humain semble « ne percevoir d’autres significations de son milieu naturel que
celles de servir à un usage et à une consommation dans l’immédiat ».[4]
Par la suite, il a appelé à une conversion écologique globale.[5]
Mais en même temps, il a fait remarquer qu’on s’engage trop peu dans « la
sauvegarde des conditions morales d’une “écologie humaine” authentique».[6]
La destruction de l’environnement humain est très grave, parce que non
seulement Dieu a confié le monde à l’être humain, mais encore la vie de
celui-ci est un don qui doit être protégé de diverses formes de dégradation.
Toute volonté de protéger et d’améliorer le monde suppose de profonds
changements dans « les styles de vie, les modèles de production et de
consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd’hui les
sociétés ».[7]
Le développement humain authentique a un caractère moral et suppose le plein
respect de la personne humaine, mais il doit aussi prêter attention au monde
naturel et « tenir compte de la nature de chaque être et de ses liens mutuels
dans un système ordonné ».[8]
Par conséquent, la capacité propre à l’être humain de transformer la réalité
doit se développer sur la base du don des choses fait par Dieu à l'origine.[9]
6. Mon prédécesseur Benoît XVI a renouvelé l’invitation à « éliminer
les causes structurelles des dysfonctionnements de l’économie mondiale et à
corriger les modèles de croissance qui semblent incapables de garantir le
respect de l’environnement».[10]
Il a rappelé qu’on ne peut pas analyser le monde seulement en isolant l’un de
ses aspects, parce que « le livre de la nature est unique et indivisible » et
inclut, entre autres, l’environnement, la vie, la sexualité, la famille et les
relations sociales. Par conséquent, « la dégradation de l’environnement est
étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine».[11]
Le Pape Benoît nous a proposé de reconnaître que l’environnement naturel est
parsemé de blessures causées par notre comportement irresponsable.
L’environnement social a lui aussi ses blessures. Mais toutes, au fond, sont
dues au même mal, c’est-à-dire à l’idée qu’il n’existe pas de vérités
indiscutables qui guident nos vies, et donc que la liberté humaine n’a pas de
limites. On oublie que « l’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de
soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est
aussi nature».[12]
Avec une paternelle préoccupation, il nous a invités à réaliser que la création
subit des préjudices, là « où nous-mêmes sommes les dernières instances, où le
tout est simplement notre propriété que nous consommons uniquement pour
nous-mêmes. Et le gaspillage des ressources de la Création commence là où nous
ne reconnaissons plus aucune instance au-dessus de nous, mais ne voyons plus
que nous-mêmes ».[13]
Unis par une même préoccupation
7. Ces apports des Papes recueillent la réflexion
d’innombrables scientifiques, philosophes, théologiens et organisations
sociales qui ont enrichi la pensée de l’Église sur ces questions. Mais nous ne
pouvons pas ignorer qu’outre l’Église catholique, d’autres Églises et
Communautés chrétiennes – comme aussi d’autres religions – ont nourri une
grande préoccupation et une précieuse réflexion sur ces thèmes qui nous
préoccupent tous. Pour prendre un seul exemple remarquable, je voudrais
recueillir brièvement en partie l’apport du cher Patriarche Œcuménique
Bartholomée, avec qui nous partageons l’espérance de la pleine communion
ecclésiale.
8. Le Patriarche Bartholomée s’est référé
particulièrement à la nécessité de se repentir, chacun, de ses propres façons
de porter préjudice à la planète, parce que « dans la mesure où tous nous
causons de petits préjudices écologiques », nous sommes appelés à reconnaître «
notre contribution – petite ou grande – à la défiguration et à la destruction
de la création ».[14]
Sur ce point, il s’est exprimé à plusieurs reprises d’une manière ferme et
stimulante, nous invitant à reconnaître les péchés contre la création : « Que
les hommes dégradent l’intégrité de la terre en provoquant le changement
climatique, en dépouillant la terre de ses forêts naturelles ou en détruisant
ses zones humides ; que les hommes portent préjudice à leurs semblables par des
maladies en contaminant les eaux, le sol, l’air et l’environnement par des
substances polluantes, tout cela, ce sont des péchés » ;[15]
car « un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un péché
contre Dieu ».[16]
9. En même temps, Bartholomée a attiré l’attention sur
les racines éthiques et spirituelles des problèmes environnementaux qui
demandent que nous trouvions des solutions non seulement grâce à la technique
mais encore à travers un changement de la part de l’être humain, parce
qu’autrement nous affronterions uniquement les symptômes. Il nous a proposé de
passer de la consommation au sacrifice, de l’avidité à la générosité, du
gaspillage à la capacité de partager, dans une ascèse qui « signifie apprendre
à donner, et non simplement à renoncer. C’est une manière d’aimer, de passer
progressivement de ce que je veux à ce dont le monde de Dieu a besoin. C’est la
libération de la peur, de l’avidité, de la dépendance ».[17]
Nous chrétiens, en outre, nous sommes appelés à « accepter le monde comme
sacrement de communion, comme manière de partager avec Dieu et avec le prochain
à une échelle globale. C’est notre humble conviction que le divin et l’humain
se rencontrent même dans les plus petits détails du vêtement sans coutures de
la création de Dieu, jusque dans l’infime grain de poussière de notre planète
».[18]
Saint François d’Assise
10. Je ne veux pas poursuivre cette Encyclique sans
recourir à un beau modèle capable de nous motiver. J’ai pris son nom comme
guide et inspiration au moment de mon élection en tant qu’Évêque de Rome. Je
crois que François est l’exemple par excellence de la protection de ce qui est
faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et authenticité. C’est le
saint patron de tous ceux qui étudient et travaillent autour de l’écologie,
aimé aussi par beaucoup de personnes qui ne sont pas chrétiennes. Il a
manifesté une attention particulière envers la création de Dieu ainsi qu’envers
les pauvres et les abandonnés. Il aimait et était aimé pour sa joie, pour son
généreux engagement et pour son cœur universel. C’était un mystique et un
pèlerin qui vivait avec simplicité et dans une merveilleuse harmonie avec Dieu,
avec les autres, avec la nature et avec lui-même. En lui, on voit jusqu’à quel
point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les
pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure.
11. Son témoignage nous montre aussi qu’une écologie
intégrale requiert une ouverture à des catégories qui transcendent le langage
des mathématiques ou de la biologie, et nous orientent vers l’essence de
l’humain. Tout comme cela arrive quand nous tombons amoureux d’une personne,
chaque fois qu’il regardait le soleil, la lune ou les animaux même les plus
petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les autres
créatures. Il entrait en communication avec toute la création, et il prêchait
même aux fleurs « en les invitant à louer le Seigneur, comme si elles étaient
dotées de raison ».[19]
Sa réaction était bien plus qu’une valorisation intellectuelle ou qu’un calcul
économique, parce que pour lui, n’importe quelle créature était une sœur, unie
à lui par des liens d’affection. Voilà pourquoi il se sentait appelé à protéger
tout ce qui existe. Son disciple saint Bonaventure rapportait que, « considérant
que toutes les choses ont une origine commune, il se sentait rempli d’une
tendresse encore plus grande et il appelait les créatures, aussi petites
soient-elles, du nom de frère ou de sœur ».[20]
Cette conviction ne peut être considérée avec mépris comme un romantisme
irrationnel, car elle a des conséquences sur les opinions qui déterminent notre
comportement. Si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans
cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus
le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde,
nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur
de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En
revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la
sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. La pauvreté et
l’austérité de saint François n’étaient pas un ascétisme purement extérieur,
mais quelque chose de plus radical : un renoncement à transformer la réalité en
pur objet d'usage et de domination.
D’autre part, saint François, fidèle à l’Écriture,
nous propose de reconnaître la nature comme un splendide livre dans lequel Dieu
nous parle et nous révèle quelque chose de sa beauté et de sa bonté : « La
grandeur et la beauté des créatures font contempler, par analogie, leur Auteur
» (Sg 13, 5), et « ce que Dieu a d’invisible depuis la création du
monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle
puissance et sa divinité » (Bm 1, 20). C’est pourquoi il demandait qu’au
couvent on laisse toujours une partie du jardin sans la cultiver, pour qu’y
croissent les herbes sauvages, de sorte que ceux qui les admirent puissent
élever leur pensée vers Dieu, auteur de tant de beauté.[21]
Le monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un mystère joyeux que nous
contemplons dans la joie et dans la louange.
Mon appel
13. Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune
inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un
développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent
changer. Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière
dans son projet d’amour, il ne se repent pas de nous avoir créés. L’humanité
possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune.
Je souhaite saluer, encourager et remercier tous ceux qui, dans les secteurs
les plus variés de l’activité humaine, travaillent pour assurer la sauvegarde
de la maison que nous partageons. Ceux qui luttent avec vigueur pour affronter
les conséquences dramatiques de la dégradation de l’environnement sur la vie
des plus pauvres dans le monde, méritent une gratitude spéciale. Les jeunes
nous réclament un changement. Ils se demandent comment il est possible de
prétendre construire un avenir meilleur sans penser à la crise de
l’environnement et aux souffrances des exclus.
14. J’adresse une invitation urgente à un nouveau
dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons
besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental
que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent
tous. Le mouvement écologique mondial a déjà parcouru un long chemin, digne
d’appréciation, et il a généré de nombreuses associations citoyennes qui ont
aidé à la prise de conscience. Malheureusement, beaucoup d’efforts pour
chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent,
non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque
d’intérêt de la part des autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de
solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à
l’indifférence, la résignation facile, ou la confiance aveugle dans les
solutions techniques. Il nous faut une nouvelle solidarité universelle. Comme
l’ont affirmé les Évêques d’Afrique du Sud, « les talents et l’implication de
tous sont nécessaires pour réparer les dommages causés par les abus humains
à l'encontre de la création de Dieu ».[22]
Tous, nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la sauvegarde de
la création, chacun selon sa culture, son expérience, ses initiatives et ses
capacités.
15. J’espère que cette Lettre encyclique, qui s’ajoute
au Magistère social de l’Église, nous aidera à reconnaître la grandeur,
l’urgence et la beauté du défi qui se présente à nous. En premier lieu, je
présenterai un bref aperçu des différents aspects de la crise écologique
actuelle, en vue de prendre en considération les meilleurs résultats de la
recherche scientifique disponible aujourd’hui, d’en faire voir la profondeur et
de donner une base concrète au parcours éthique et spirituel qui suit. À partir
de cet aperçu, je reprendrai certaines raisons qui se dégagent de la tradition
judéo-chrétienne, afin de donner plus de cohérence à notre engagement en faveur
de l’environnement. Ensuite, j’essaierai d’arriver aux racines de la situation
actuelle, pour que nous ne considérions pas seulement les symptômes, mais aussi
les causes les plus profondes. Nous pourrons ainsi proposer une écologie qui, dans
ses différentes dimensions, incorpore la place spécifique de l’être humain dans
ce monde et ses relations avec la réalité qui l’entoure. À la lumière de cette
réflexion, je voudrais avancer quelques grandes lignes de dialogue et d’action
qui concernent aussi bien chacun de nous que la politique internationale.
Enfin, puisque je suis convaincu que tout changement a besoin de motivations et
d’un chemin éducatif, je proposerai quelques lignes de maturation humaine
inspirées par le trésor de l’expérience spirituelle chrétienne.
16. Bien que chaque chapitre possède sa propre
thématique et une méthodologie spécifique, il reprend à son tour, à partir
d’une nouvelle optique, des questions importantes abordées dans les chapitres
antérieurs. C’est le cas spécialement de certains axes qui traversent toute
l’Encyclique. Par exemple : l’intime relation entre les pauvres et la fragilité
de la planète ; la conviction que tout est lié dans le monde ; la critique du
nouveau paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie ;
l’invitation à chercher d’autres façons de comprendre l’économie et le progrès
; la valeur propre de chaque créature ; le sens humain de l’écologie ; la
nécessité de débats sincères et honnêtes ; la grave responsabilité de la
politique internationale et locale ; la culture du déchet et la proposition
d’un nouveau style de vie. Ces thèmes ne sont jamais clos, ni ne sont laissés
de côté, mais ils sont constamment repris et enrichis.
PREMIER CHAPITRE
CE QUI SE PASSE DANS
NOTRE MAISON
NOTRE MAISON
17. Les réflexions théologiques ou philosophiques sur
la situation de l’humanité et du monde, peuvent paraître un message répétitif
et abstrait, si elles ne se présentent pas de nouveau à partir d’une
confrontation avec le contexte actuel, en ce qu’il a d’inédit pour l’histoire
de l’humanité. Voilà pourquoi avant de voir comment la foi apporte de nouvelles
motivations et de nouvelles exigences face au monde dont nous faisons partie,
je propose de nous arrêter brièvement pour considérer ce qui se passe dans notre
maison commune.
18. L’accélération continuelle des changements de
l’humanité et de la planète s’associe aujourd’hui à l’intensification des
rythmes de vie et de travail, dans ce que certains appellent “rapidación”.
Bien que le changement fasse partie de la dynamique des systèmes complexes, la
rapidité que les actions humaines lui imposent aujourd’hui contraste avec la
lenteur naturelle de l’évolution biologique. À cela, s’ajoute le fait que les
objectifs de ce changement rapide et constant ne sont pas nécessairement
orientés vers le bien commun, ni vers le développement humain, durable et
intégral. Le changement est quelque chose de désirable, mais il devient
préoccupant quand il en vient à détériorer le monde et la qualité de vie d’une
grande partie de l’humanité.
19. Après un temps de confiance irrationnelle dans le
progrès et dans la capacité humaine, une partie de la société est en train
d’entrer dans une phase de plus grande prise de conscience. On observe une
sensibilité croissante concernant aussi bien l’environnement que la protection
de la nature, tout comme une sincère et douloureuse préoccupation grandit pour
ce qui arrive à notre planète. Faisons un tour, certainement incomplet, de ces
questions qui aujourd’hui suscitent notre inquiétude, et que nous ne pouvons
plus mettre sous le tapis. L’objectif n’est pas de recueillir des informations
ni de satisfaire notre curiosité, mais de prendre une douloureuse conscience,
d’oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et
ainsi de reconnaître la contribution que chacun peut apporter.
I. POLLUTION ET CHANGEMENT CLIMATIQUE
Pollution, ordure et culture du déchet
20. Il existe des formes de pollution qui affectent
quotidiennement les personnes. L’exposition aux polluants atmosphériques
produit une large gamme d’effets sur la santé, en particulier des plus pauvres,
en provoquant des millions de morts prématurées. Ces personnes tombent malades,
par exemple, à cause de l’inhalation de niveaux élevés de fumées provenant de
la combustion qu’elles utilisent pour faire la cuisine ou pour se chauffer. À
cela, s’ajoute la pollution qui affecte tout le monde, due aux moyens de
transport, aux fumées de l’industrie, aux dépôts de substances qui contribuent
à l’acidification du sol et de l’eau, aux fertilisants, insecticides,
fongicides, désherbants et agro-chimiques toxiques en général. La technologie,
liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes,
de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations
qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en
en créant un autre.
21. Il faut considérer également la pollution produite
par les déchets, y compris les ordures dangereuses présentes dans différents
milieux. Des centaines de millions de tonnes de déchets sont produites chaque
année, dont beaucoup ne sont pas biodégradables : des déchets domestiques et
commerciaux, des déchets de démolition, des déchets cliniques, électroniques et
industriels, des déchets hautement toxiques et radioactifs. La terre, notre
maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense
dépotoir. À plusieurs endroits de la planète, les personnes âgées ont la
nostalgie des paysages d’autrefois, qui aujourd’hui se voient inondés
d’ordures. Aussi bien les déchets industriels que les produits chimiques
utilisés dans les villes et dans l’agriculture peuvent provoquer un effet de
bio-accumulation dans les organismes des populations voisines, ce qui arrive
même quand le taux de présence d’un élément toxique en un lieu est bas. Bien
des fois, on prend des mesures seulement quand des effets irréversibles pour la
santé des personnes se sont déjà produits.
Ces problèmes sont intimement liés à la culture du
déchet, qui affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite
transformées en ordures. Réalisons, par exemple, que la majeure partie du
papier qui est produit, est gaspillée et n’est pas recyclée. Il nous coûte de
reconnaître que le fonctionnement des écosystèmes naturels est exemplaire : les
plantes synthétisent des substances qui alimentent les herbivores ; ceux-ci à
leur tour alimentent les carnivores, qui fournissent d’importantes quantités de
déchets organiques, lesquels donnent lieu à une nouvelle génération de végétaux.
Par contre, le système industriel n’a pas développé, en fin de cycle de
production et de consommation, la capacité d’absorber et de réutiliser déchets
et ordures. On n’est pas encore arrivé à adopter un modèle circulaire de
production qui assure des ressources pour tous comme pour les générations
futures, et qui suppose de limiter au maximum l’utilisation des ressources non
renouvelables, d’en modérer la consommation, de maximiser l’efficacité de leur
exploitation, de les réutiliser et de les recycler. Aborder cette question
serait une façon de contrecarrer la culture du déchet qui finit par affecter la
planète entière, mais nous remarquons que les progrès dans ce sens sont encore
très insuffisants.
Le climat comme bien commun
23. Le climat est un bien commun, de tous et pour
tous. Au niveau global, c’est un système complexe en relation avec beaucoup de
conditions essentielles pour la vie humaine. Il existe un consensus
scientifique très solide qui indique que nous sommes en présence d’un
réchauffement préoccupant du système climatique. Au cours des dernières
décennies, ce réchauffement a été accompagné de l’élévation constante du niveau
de la mer, et il est en outre difficile de ne pas le mettre en relation avec
l’augmentation d’événements météorologiques extrêmes, indépendamment du fait
qu’on ne peut pas attribuer une cause scientifiquement déterminable à chaque
phénomène particulier. L’humanité est appelée à prendre conscience de la
nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation,
pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le
provoquent ou l’accentuent. Il y a, certes, d’autres facteurs (comme le
volcanisme, les variations de l’orbite et de l’axe de la terre, le cycle
solaire), mais de nombreuses études scientifiques signalent que la plus grande
partie du réchauffement global des dernières décennies est due à la grande
concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de
nitrogène et autres) émis surtout à cause de l’activité humaine. En se
concentrant dans l’atmosphère, ils empêchent la chaleur des rayons solaires
réfléchis par la terre de se perdre dans l’espace. Cela est renforcé en
particulier par le modèle de développement reposant sur l’utilisation intensive
de combustibles fossiles, qui constitue le cœur du système énergétique mondial.
Le fait de changer de plus en plus les utilisations du sol, principalement la
déforestation pour l’agriculture, a aussi des impacts.
24. À son tour, le réchauffement a des effets sur le
cycle du carbone. Il crée un cercle vicieux qui aggrave encore plus la
situation, affectera la disponibilité de ressources indispensables telles que
l’eau potable, l’énergie ainsi que la production agricole des zones les plus
chaudes, et provoquera l’extinction d’une partie de la biodiversité de la
planète. La fonte des glaces polaires et de celles des plaines d’altitude
menace d’une libération à haut risque de méthane ; et la décomposition de la
matière organique congelée pourrait accentuer encore plus l’émanation de
dioxyde de carbone. De même, la disparition de forêts tropicales aggrave la
situation, puisqu’elles contribuent à tempérer le changement climatique. La
pollution produite par le dioxyde de carbone augmente l’acidité des océans et
compromet la chaîne alimentaire marine. Si la tendance actuelle continuait, ce
siècle pourrait être témoin de changements climatiques inédits et d’une
destruction sans précédent des écosystèmes, avec de graves conséquences pour
nous tous. L’élévation du niveau de la mer, par exemple, peut créer des
situations d’une extrême gravité si on tient compte du fait que le quart de la
population mondiale vit au bord de la mer ou très proche, et que la plupart des
mégapoles sont situées en zones côtières.
25. Le changement climatique est un problème global
aux graves répercussions environnementales, sociales, économiques,
distributives ainsi que politiques, et constitue l’un des principaux défis
actuels pour l’humanité. Les pires conséquences retomberont probablement au cours
des prochaines décennies sur les pays en développement. Beaucoup de pauvres
vivent dans des endroits particulièrement affectés par des phénomènes liés au
réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement des réserves
naturelles et des services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et
les ressources forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni
d’autres ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques,
ni de faire face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès aux
services sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du climat
provoquent des migrations d’animaux et de végétaux qui ne peuvent pas toujours
s’adapter, et cela affecte à leur tour les moyens de production des plus
pauvres, qui se voient aussi obligés d’émigrer avec une grande incertitude pour
leur avenir et pour l'avenir de leurs enfants. L’augmentation du nombre de
migrants fuyant la misère, accrue par la dégradation environnementale, est
tragique ; ces migrants ne sont pas reconnus comme réfugiés par les conventions
internationales et ils portent le poids de leurs vies à la dérive, sans aucune
protection légale. Malheureusement, il y a une indifférence générale face à ces
tragédies qui se produisent en ce moment dans diverses parties du monde. Le
manque de réactions face à ces drames de nos frères et sœurs est un signe de la
perte de ce sens de responsabilité à l’égard de nos semblables, sur lequel se
fonde toute société civile.
26. Beaucoup de ceux qui détiennent plus de ressources
et de pouvoir économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les
problèmes ou à occulter les symptômes, en essayant seulement de réduire
certains impacts négatifs du changement climatique. Mais beaucoup de symptômes indiquent
que ces effets ne cesseront pas d’empirer si nous maintenons les modèles
actuels de production et de consommation. Voilà pourquoi il devient urgent et
impérieux de développer des politiques pour que, les prochaines années,
l’émission du dioxyde de carbone et d’autres gaz hautement polluants soit
réduite de façon drastique, par exemple en remplaçant l’utilisation de
combustibles fossiles et en accroissant des sources d’énergie renouvelable.
Dans le monde, il y a un niveau d’accès réduit à des énergies propres et
renouvelables. Il est encore nécessaire de développer des technologies
adéquates d’accumulation. Cependant, dans certains pays, des progrès qui
commencent à être significatifs ont été réalisés, bien qu’ils soient loin
d’atteindre un niveau suffisant. Il y a eu aussi quelques investissements dans
les moyens de production et de transport qui consomment moins d’énergie et
requièrent moins de matière première, comme dans le domaine de la construction
ou de la réfection d’édifices pour en améliorer l’efficacité énergétique. Mais
ces bonnes pratiques sont loin de se généraliser.
II. LA QUESTION DE L’EAU
27. D’autres indicateurs de la situation actuelle
concernent l’épuisement des ressources naturelles. Nous sommes bien conscients
de l’impossibilité de maintenir le niveau actuel de consommation des pays les
plus développés et des secteurs les plus riches des sociétés, où l’habitude de
dépenser et de jeter atteint des niveaux inédits. Déjà les limites maximales
d’exploitation de la planète ont été dépassées, sans que nous ayons résolu le
problème de la pauvreté.
L’eau potable et pure représente une question de
première importance, parce qu’elle est indispensable pour la vie humaine comme
pour soutenir les écosystèmes terrestres et aquatiques. Les sources d’eau douce
approvisionnent des secteurs sanitaires, agricoles et de la pêche ainsi
qu’industriels. La provision d’eau est restée relativement constante pendant
longtemps, mais en beaucoup d’endroits la demande dépasse l’offre durable, avec
de graves conséquences à court et à long terme. De grandes villes qui ont
besoin d’une importante quantité d’eau en réserve, souffrent de périodes de
diminution de cette ressource, qui n’est pas toujours gérée de façon équitable
et impartiale aux moments critiques. Le manque d’eau courante s’enregistre
spécialement en Afrique, où de grands secteurs de la population n’ont pas accès
à une eau potable sûre, ou bien souffrent de sécheresses qui rendent difficile
la production d’aliments. Dans certains pays, il y a des régions qui disposent
de l’eau en abondance et en même temps d’autres qui souffrent de grave pénurie.
29. Un problème particulièrement sérieux est celui de
la qualité de l’eau disponible pour les pauvres, ce qui provoque beaucoup de
morts tous les jours. Les maladies liées à l’eau sont fréquentes chez les
pauvres, y compris les maladies causées par les micro-organismes et par des
substances chimiques. La diarrhée et le choléra, qui sont liés aux services
hygiéniques et à l’approvisionnement en eau impropre à la consommation, sont un
facteur significatif de souffrance et de mortalité infantile. Les eaux
souterraines en beaucoup d’endroits sont menacées par la pollution que
provoquent certaines activités extractives, agricoles et industrielles, surtout
dans les pays où il n’y a pas de régulation ni de contrôles suffisants. Ne
pensons pas seulement aux décharges des usines. Les détergents et les produits
chimiques qu’utilise la population dans beaucoup d’endroits du monde continuent
de se déverser dans des rivières, dans des lacs et dans des mers.
30. Tandis que la qualité de l’eau disponible se
détériore constamment, il y a une tendance croissante, à certains endroits, à
privatiser cette ressource limitée, transformée en marchandise sujette aux lois
du marché. En réalité, l’accès à l’eau potable et sûre est un droit humain
primordial, fondamental et universel, parce qu’il détermine la survie des
personnes, et par conséquent il est une condition pour l’exercice des autres
droits humains. Ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres qui
n’ont pas accès à l’eau potable, parce que c’est leur nier le droit à la
vie, enraciné dans leur dignité inaliénable. Cette dette se règle en partie
par des apports économiques conséquents pour fournir l’eau potable et l’hygiène
aux plus pauvres. Mais on observe le gaspillage d’eau, non seulement dans les
pays développés, mais aussi dans les pays les moins développés qui possèdent de
grandes réserves. Cela montre que le problème de l’eau est en partie une
question éducative et culturelle, parce que la conscience de la gravité de ces
conduites, dans un contexte de grande injustice, manque.
31. Une grande pénurie d’eau provoquera l’augmentation
du coût des aliments comme celle du coût de différents produits qui dépendent
de son utilisation. Certaines études ont alerté sur la possibilité de souffrir
d’une pénurie aiguë d’eau dans quelques décennies, si on n’agit pas en urgence.
Les impacts sur l’environnement pourraient affecter des milliers de millions de
personnes, et il est prévisible que le contrôle de l’eau par de grandes
entreprises mondiales deviendra l’une des principales sources de conflits de ce
siècle.[23]
III. LA PERTE DE BIODIVERSITÉ
32. Les ressources de la terre sont aussi objet de
déprédation à cause de la conception de l’économie ainsi que de l’activité
commerciale et productive fondées sur l’immédiateté. La disparition de forêts
et d’autres végétations implique en même temps la disparition d’espèces qui
pourraient être à l’avenir des ressources extrêmement importantes, non
seulement pour l’alimentation, mais aussi pour la guérison de maladies et pour
de multiples services. Les diverses espèces contiennent des gènes qui peuvent
être des ressources-clefs pour subvenir, à l’avenir, à certaines nécessités
humaines ou pour réguler certains problèmes de l’environnement.
33. Mais il ne suffit pas de penser aux différentes
espèces seulement comme à d’éventuelles “ressources” exploitables, en oubliant
qu’elles ont une valeur en elles-mêmes. Chaque année, disparaissent des
milliers d’espèces végétales et animales que nous ne pourrons plus connaître,
que nos enfants ne pourront pas voir, perdues pour toujours.
L’immense majorité disparaît pour des raisons qui
tiennent à une action humaine. À cause de nous, des milliers d’espèces ne
rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous
communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit.
34. Probablement, cela nous inquiète d’avoir
connaissance de l’extinction d’un mammifère ou d’un oiseau, à cause de leur
visibilité plus grande. Mais, pour le bon fonctionnement des écosystèmes, les
champignons, les algues, les vers, les insectes, les reptiles et l’innombrable
variété de micro-organismes sont aussi nécessaires. Certaines espèces peu
nombreuses, qui sont d’habitude imperceptibles, jouent un rôle fondamental pour
établir l’équilibre d’un lieu. Certes, l’être humain doit intervenir quand un
géo-système entre dans un état critique ; mais aujourd’hui le niveau
d’intervention humaine, dans une réalité si complexe comme la nature, est tel
que les constants désastres provoqués par l’être humain appellent une nouvelle
intervention de sa part, si bien que l’activité humaine devient omniprésente,
avec tous les risques que cela implique. Il se crée en général un cercle
vicieux où l’intervention de l’être humain pour résoudre une difficulté, bien
des fois, aggrave encore plus la situation. Par exemple, beaucoup d’oiseaux et
d’insectes qui disparaissent à cause des agro-toxiques créés par la
technologie, sont utiles à cette même agriculture et leur disparition devra
être substituée par une autre intervention technologique qui produira
probablement d’autres effets nocifs. Les efforts des scientifiques et des
techniciens, qui essaient d’apporter des solutions aux problèmes créés par
l’être humain, sont louables et parfois admirables. Mais en regardant le monde,
nous remarquons que ce niveau d’intervention humaine, fréquemment au service
des finances et du consumérisme, fait que la terre où nous vivons devient en
réalité moins riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis
qu’en même temps le développement de la technologie et des offres de
consommation continue de progresser sans limite. Il semble ainsi que nous
prétendions substituer à une beauté, irremplaçable et irrécupérable, une autre
créée par nous.
35. Quand on analyse l’impact environnemental d’une
entreprise, on en considère ordinairement les effets sur le sol, sur l’eau et
sur l’air, mais on n’inclut pas toujours une étude soignée de son impact sur la
biodiversité, comme si la disparition de certaines espèces ou de groupes
d’animaux ou de végétaux était quelque chose de peu d’importance. Les routes,
les nouvelles cultures, les grillages, les barrages et d’autres constructions
prennent progressivement possession des habitats, et parfois les fragmentent de
telle manière que les populations d’animaux ne peuvent plus migrer ni se
déplacer librement, si bien que certaines espèces sont menacées d’extinction.
Il existe des alternatives qui peuvent au moins atténuer l’impact de ces
ouvrages, comme la création de corridors biologiques, mais on observe cette
attention et cette prévention en peu de pays. Quand on exploite commercialement
certaines espèces, on n’étudie pas toujours leur forme de croissance pour
éviter leur diminution excessive, avec le déséquilibre de l’écosystème qui en
résulterait.
36. La sauvegarde des écosystèmes suppose un regard
qui aille au-delà de l’immédiat, car lorsqu’on cherche seulement un rendement
économique rapide et facile, leur préservation n’intéresse réellement personne.
Mais le coût des dommages occasionnés par la négligence égoïste est beaucoup
plus élevé que le bénéfice économique qui peut en être obtenu. Dans le cas de
la disparition ou de graves dommages à certaines espèces, nous parlons de
valeurs qui excèdent tout calcul. C’est pourquoi nous pouvons être des témoins
muets de bien graves injustices, quand certains prétendent obtenir d’importants
bénéfices en faisant payer au reste de l’humanité, présente et future, les
coûts très élevés de la dégradation de l’environnement.
37. Quelques pays ont progressé dans la préservation
efficace de certains lieux et de certaines zones – sur terre et dans les océans
– où l’on interdit toute intervention humaine qui pourrait en modifier la
physionomie ou en altérer la constitution originelle. Dans la préservation de
la biodiversité, les spécialistes insistent sur la nécessité d’accorder une
attention spéciale aux zones les plus riches en variétés d’espèces, aux espèces
endémiques rares ou ayant un faible degré de protection effective. Certains
endroits requièrent une protection particulière à cause de leur énorme
importance pour l’écosystème mondial, ou parce qu’ils constituent d’importantes
réserves d’eau et assurent ainsi d’autres formes de vie.
38. Mentionnons, par exemple, ces poumons de la
planète pleins de biodiversité que sont l’Amazonie et le bassin du fleuve
Congo, ou bien les grandes surfaces aquifères et les glaciers. On n’ignore pas
l’importance de ces lieux pour toute la planète et pour l’avenir de l’humanité.
Les écosystèmes des forêts tropicales ont une biodiversité d’une énorme complexité,
presqu’impossible à répertorier intégralement, mais quand ces forêts sont
brûlées ou rasées pour développer des cultures, d’innombrables espèces
disparaissent en peu d’années, quand elles ne se transforment pas en déserts
arides. Cependant, un équilibre délicat s’impose, quand on parle de ces
endroits, parce qu’on ne peut pas non plus ignorer les énormes intérêts
économiques internationaux qui, sous prétexte de les sauvegarder, peuvent
porter atteinte aux souverainetés nationales. De fait, il existe « des
propositions d’internationalisation de l’Amazonie, qui servent uniquement des
intérêts économiques des corporations transnationales ».[24]
Elle est louable la tâche des organismes internationaux et des organisations de
la société civile qui sensibilisent les populations et coopèrent de façon
critique, en utilisant aussi des mécanismes de pression légitimes, pour que
chaque gouvernement accomplisse son propre et intransférable devoir de
préserver l’environnement ainsi que les ressources naturelles de son pays, sans
se vendre à des intérêts illégitimes locaux ou internationaux.
39. Le remplacement de la flore sauvage par des aires
reboisées, qui généralement sont des mono‑cultures, ne fait pas ordinairement
l’objet d’une analyse adéquate. En effet, ce remplacement peut affecter
gravement une biodiversité qui n’est pas hébergée par les nouvelles espèces
qu’on implante. Les zones humides, qui sont transformées en terrain de culture,
perdent aussi l’énorme biodiversité qu’elles accueillaient. Dans certaines
zones côtières, la disparition des écosystèmes constitués par les mangroves est
préoccupante.
40. Les océans non seulement constituent la majeure
partie de l’eau de la planète, mais aussi la majeure partie de la grande
variété des êtres vivants, dont beaucoup nous sont encore inconnus et sont
menacés par diverses causes. D’autre part, la vie dans les fleuves, les lacs,
les mers et les océans, qui alimente une grande partie de la population
mondiale, se voit affectée par l’extraction désordonnée des ressources de
pêche, provoquant des diminutions drastiques de certaines espèces. Des formes
sélectives de pêche, qui gaspillent une grande partie des espèces capturées,
continuent encore de se développer. Les organismes marins que nous ne prenons
pas en considération sont spécialement menacés, comme certaines formes de
plancton qui constituent une composante très importante dans la chaîne
alimentaire marine, et dont dépendent, en définitive, les espèces servant à
notre subsistance.
41. En pénétrant dans les mers tropicales et
subtropicales, nous trouvons les barrières de corail, qui équivalent aux
grandes forêts de la terre, parce qu’elles hébergent approximativement un
million d’espèces, incluant des poissons, des crabes, des mollusques, des
éponges, des algues, et autres. Déjà, beaucoup de barrières de corail dans le
monde sont aujourd’hui stériles ou déclinent continuellement : « Qui a
transformé le merveilleux monde marin en cimetières sous-marins dépourvus de
vie et de couleurs ? ».[25]
Ce phénomène est dû en grande partie à la pollution qui atteint la mer,
résultat de la déforestation, des monocultures agricoles, des déchets
industriels et des méthodes destructives de pêche, spécialement celles qui
utilisent le cyanure et la dynamite. Il s’aggrave à cause de l’élévation de la
température des océans. Tout cela nous aide à réaliser comment n’importe quelle
action sur la nature peut avoir des conséquences que nous ne soupçonnons pas à
première vue, et que certaines formes d’exploitation de ressources se font au
prix d’une dégradation qui finalement atteint même le fond des océans.
42. Il est nécessaire d’investir beaucoup plus dans la
recherche pour mieux comprendre le comportement des écosystèmes et analyser
adéquatement les divers paramètres de l’impact de toute modification importante
de l’environnement. En effet, toutes les créatures sont liées, chacune doit
être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous
avons besoin les uns des autres. Chaque territoire a une responsabilité dans la
sauvegarde de cette famille et devrait donc faire un inventaire détaillé des
espèces qu’il héberge, afin de développer des programmes et des stratégies de
protection, en préservant avec un soin particulier les espèces en voie
d’extinction.
IV. DÉTÉRIORATION DE LA QUALITÉ
DE LA VIE HUMAINE ET DÉGRADATION SOCIALE
DE LA VIE HUMAINE ET DÉGRADATION SOCIALE
43. Si nous tenons compte du fait que l’être humain
est aussi une créature de ce monde, qui a le droit de vivre et d’être heureux,
et qui de plus a une dignité éminente, nous ne pouvons pas ne pas prendre en
considération les effets de la dégradation de l’environnement, du modèle actuel
de développement et de la culture du déchet, sur la vie des personnes.
44. Aujourd’hui nous observons, par exemple, la
croissance démesurée et désordonnée de beaucoup de villes qui sont devenues
insalubres pour y vivre, non seulement du fait de la pollution causée par les
émissions toxiques, mais aussi à cause du chaos urbain, des problèmes de
transport, et de la pollution visuelle ainsi que sonore. Beaucoup de villes
sont de grandes structures inefficaces qui consomment énergie et eau en excès.
Certains quartiers, bien que récemment construits, sont congestionnés et
désordonnés, sans espaces verts suffisants. Les habitants de cette planète ne
sont pas faits pour vivre en étant toujours plus envahis par le ciment,
l’asphalte, le verre et les métaux, privés du contact physique avec la nature.
45. À certains endroits, en campagne comme en ville,
la privatisation des espaces a rendu difficile l’accès des citoyens à des zones
particulièrement belles. À d’autres endroits, on crée des urbanisations “
écologiques ” seulement au service de quelques-uns, en évitant que les autres
entrent pour perturber une tranquillité artificielle. Une ville belle et pleine
d’espaces verts bien protégés se trouve ordinairement dans certaines zones “
sûres ”, mais beaucoup moins dans des zones peu visibles, où vivent les
marginalisés de la société.
46. Parmi les composantes sociales du changement
global figurent les effets de certaines innovations technologiques sur le
travail, l’exclusion sociale, l’inégalité dans la disponibilité et la
consommation d’énergie et d’autres services, la fragmentation sociale,
l’augmentation de la violence et l’émergence de nouvelles formes d’agressivité
sociale, le narcotrafic et la consommation croissante de drogues chez les plus
jeunes, la perte d’identité. Ce sont des signes, parmi d’autres, qui montrent
que la croissance de ces deux derniers siècles n’a pas signifié sous tous ses aspects
un vrai progrès intégral ni une amélioration de la qualité de vie. Certains de
ces signes sont en même temps des symptômes d’une vraie dégradation sociale,
d’une rupture silencieuse des liens d’intégration et de communion sociale.
47. À cela s’ajoutent les dynamiques des moyens de
communication sociale et du monde digital, qui, en devenant omniprésentes, ne
favorisent pas le développement d’une capacité de vivre avec sagesse, de penser
en profondeur, d’aimer avec générosité. Les grands sages du passé, dans ce
contexte, auraient couru le risque de voir s’éteindre leur sagesse au milieu du
bruit de l’information qui devient divertissement. Cela exige de nous un effort
pour que ces moyens de communication se traduisent par un nouveau développement
culturel de l’humanité, et non par une détérioration de sa richesse la plus
profonde. La vraie sagesse, fruit de la réflexion, du dialogue et de la
rencontre généreuse entre les personnes, ne s’obtient pas par une pure
accumulation de données qui finissent par saturer et obnubiler, comme une
espèce de pollution mentale. En même temps, les relations réelles avec les
autres tendent à être substituées, avec tous les défis que cela implique, par
un type de communication transitant par Internet. Cela permet de sélectionner
ou d’éliminer les relations selon notre libre arbitre, et il naît ainsi un
nouveau type d’émotions artificielles, qui ont plus à voir avec des dispositifs
et des écrans qu’avec les personnes et la nature. Les moyens actuels nous
permettent de communiquer et de partager des connaissances et des sentiments.
Cependant, ils nous empêchent aussi parfois d’entrer en contact direct avec la
détresse, l’inquiétude, la joie de l’autre et avec la complexité de son
expérience personnelle. C’est pourquoi nous ne devrions pas nous étonner
qu’avec l’offre écrasante de ces produits se développe une profonde et
mélancolique insatisfaction dans les relations interpersonnelles, ou un
isolement dommageable.
V. INÉGALITÉ PLANÉTAIRE
48. L’environnement humain et l’environnement naturel
se dégradent ensemble, et nous ne pourrons pas affronter adéquatement la
dégradation de l’environnement si nous ne prêtons pas attention aux causes qui
sont en rapport avec la dégradation humaine et sociale. De fait, la
détérioration de l’environnement et celle de la société affectent d’une manière
spéciale les plus faibles de la planète : « Tant l’expérience commune de la vie
ordinaire que l’investigation scientifique démontrent que ce sont les pauvres
qui souffrent davantage des plus graves effets de toutes les agressions
environnementales ».[26]
Par exemple, l’épuisement des réserves de poissons nuit spécialement à ceux qui
vivent de la pêche artisanale et n’ont pas les moyens de la remplacer ; la
pollution de l’eau touche particulièrement les plus pauvres qui n’ont pas la
possibilité d’acheter de l’eau en bouteille, et l’élévation du niveau de la mer
affecte principalement les populations côtières appauvries qui n’ont pas où se
déplacer. L’impact des dérèglements actuels se manifeste aussi à travers la
mort prématurée de beaucoup de pauvres, dans les conflits générés par manque de
ressources et à travers beaucoup d’autres problèmes qui n’ont pas assez
d’espace dans les agendas du monde.[27]
49. Je voudrais faire remarquer que souvent on n’a pas
une conscience claire des problèmes qui affectent particulièrement les exclus.
Ils sont la majeure partie de la planète, des milliers de millions de
personnes. Aujourd’hui, ils sont présents dans les débats politiques et
économiques internationaux, mais il semble souvent que leurs problèmes se
posent comme un appendice, comme une question qui s’ajoute presque par
obligation ou de manière marginale, quand on ne les considère pas comme un pur
dommage collatéral. De fait, au moment de l’action concrète, ils sont relégués
fréquemment à la dernière place. Cela est dû en partie au fait que beaucoup de
professionnels, de leaders d’opinion, de moyens de communication et de centres
de pouvoir sont situés loin d’eux, dans des zones urbaines isolées, sans
contact direct avec les problèmes des exclus. Ceux-là vivent et réfléchissent à
partir de la commodité d’un niveau de développement et à partir d’une qualité
de vie qui ne sont pas à la portée de la majorité de la population mondiale. Ce
manque de contact physique et de rencontre, parfois favorisé par la
désintégration de nos villes, aide à tranquilliser la conscience et à occulter
une partie de la réalité par des analyses biaisées. Ceci cohabite parfois avec
un discours “ vert ”. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de
reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une
approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur
l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des
pauvres.
50. Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et
de penser à un monde différent, certains se contentent seulement de proposer
une réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les pays en
développement ne manquent pas, conditionnant des aides économiques à certaines
politiques de “ santé reproductive ”. Mais « s’il est vrai que la répartition
inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au
développement et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut
reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un
développement intégral et solidaire ».[28]
Accuser l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et
sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes. On
prétend légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où une minorité se
croit le droit de consommer dans une proportion qu’il serait impossible de
généraliser, parce que la planète ne pourrait même pas contenir les déchets
d’une telle consommation. En outre, nous savons qu’on gaspille
approximativement un tiers des aliments qui sont produits, et « que lorsque
l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait la nourriture à la
table du pauvre ».[29]
De toute façon, il est certain qu’il faut prêter attention au déséquilibre de
la distribution de la population sur le territoire, tant au niveau national
qu’au niveau global, parce que l’augmentation de la consommation conduirait à
des situations régionales complexes, à cause des combinaisons de problèmes liés
à la pollution environnementale, au transport, au traitement des déchets, à la
perte de ressources et à la qualité de vie, entre autres.
51. L’inégalité n’affecte pas seulement les individus,
mais aussi des pays entiers, et oblige à penser à une éthique des relations
internationales. Il y a, en effet, une vraie “ dette écologique ”,
particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux,
avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à l’utilisation
disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par
certains pays. Les exportations de diverses matières premières pour satisfaire
les marchés du Nord industrialisé ont causé des dommages locaux, comme la
pollution par le mercure dans l’exploitation de l’or ou par le dioxyde de
souffre dans l’exploitation du cuivre. Il faut spécialement tenir compte de
l’utilisation de l’espace environnemental de toute la planète, quand il s’agit
de stocker les déchets gazeux qui se sont accumulés durant deux siècles et ont
généré une situation qui affecte actuellement tous les pays du monde. Le
réchauffement causé par l’énorme consommation de certains pays riches a des
répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre, spécialement en
Afrique, où l’augmentation de la température jointe à la sécheresse fait des
ravages au détriment du rendement des cultures. À cela, s’ajoutent les dégâts
causés par l’exportation vers les pays en développement des déchets solides
ainsi que de liquides toxiques, et par l’activité polluante d’entreprises qui
s’autorisent dans les pays moins développés ce qu’elles ne peuvent dans les
pays qui leur apportent le capital : « Nous constatons que souvent les
entreprises qui agissent ainsi sont des multinationales, qui font ici ce qu’on
ne leur permet pas dans des pays développés ou du dénommé premier monde.
Généralement, en cessant leurs activités et en se retirant, elles laissent de
grands passifs humains et environnementaux tels que le chômage, des populations
sans vie, l’épuisement de certaines réserves naturelles, la déforestation,
l’appauvrissement de l’agriculture et de l’élevage local, des cratères, des
coteaux triturés, des fleuves contaminés et quelques œuvres sociales qu’on ne
peut plus maintenir ».[30]
52. La dette extérieure des pays pauvres s’est
transformée en un instrument de contrôle, mais il n’en est pas de même avec la
dette écologique. De diverses manières, les peuples en développement, où se
trouvent les plus importantes réserves de la biosphère, continuent d’alimenter
le développement des pays les plus riches au prix de leur présent et de leur
avenir. La terre des pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais l’accès à la
propriété des biens et aux ressources pour satisfaire les besoins vitaux leur
est interdit par un système de relations commerciales et de propriété
structurellement pervers. Il faut que les pays développés contribuent à solder
cette dette, en limitant de manière significative la consommation de l’énergie
non renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus de
besoins, pour soutenir des politiques et des programmes de développement
durable. Les régions et les pays les plus pauvres ont moins de possibilités
pour adopter de nouveaux modèles en vue de réduire l’impact des activités de
l’homme sur l’environnement, parce qu’ils n’ont pas la formation pour
développer les processus nécessaires, et ils ne peuvent pas en assumer les
coûts. C’est pourquoi il faut maintenir claire la conscience que, dans le
changement climatique, il y a des responsabilités diversifiées et, comme
l’ont exprimé les Évêques des États-Unis, on doit se concentrer « spécialement
sur les besoins des pauvres, des faibles et des vulnérables, dans un débat
souvent dominé par les intérêts les plus puissants ».[31]
Nous avons besoin de renforcer la conscience que nous sommes une seule famille
humaine. Il n’y a pas de frontières ni de barrières politiques ou sociales qui
nous permettent de nous isoler, et pour cela même il n’y a pas non plus de
place pour la globalisation de l’indifférence.
VI. LA FAIBLESSE DES RÉACTIONS
53. Ces situations provoquent les gémissements de sœur
terre, qui se joignent au gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur
exigeant de nous une autre direction. Nous n’avons jamais autant maltraité ni
fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles. Mais nous
sommes appelés à être les instruments de Dieu le Père pour que notre planète
soit ce qu’il a rêvé en la créant, et pour qu’elle réponde à son projet de
paix, de beauté et de plénitude. Le problème est que nous n’avons pas encore la
culture nécessaire pour faire face à cette crise ; et il faut construire des
leaderships qui tracent des chemins, en cherchant à répondre aux besoins des
générations actuelles comme en incluant tout le monde, sans nuire aux
générations futures. Il devient indispensable de créer un système normatif qui
implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes,
avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme
techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique mais aussi
la liberté et la justice.
54. La faiblesse de la réaction politique
internationale est frappante. La soumission de la politique à la technologie et
aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement.
Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement l’intérêt économique
arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l’information pour ne pas
voir affectés ses projets. En ce sens, le Document d’Aparecida réclame
que « dans les interventions sur les ressources naturelles ne prédominent pas
les intérêts des groupes économiques qui ravagent déraisonnablement les sources
de la vie ».[32]
L’alliance entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté ce qui
ne fait pas partie de leurs intérêts immédiats. Ainsi, on peut seulement
s’attendre à quelques déclarations superficielles, quelques actions
philanthropiques isolées, voire des efforts pour montrer une sensibilité envers
l’environnement, quand, en réalité, toute tentative des organisations sociales
pour modifier les choses sera vue comme une gêne provoquée par des utopistes
romantiques ou comme un obstacle à contourner.
55. Peu à peu certains pays peuvent enregistrer des
progrès importants, le développement de contrôles plus efficaces et une lutte
plus sincère contre la corruption. Il y a plus de sensibilité écologique de la
part des populations, bien que cela ne suffise pas pour modifier les habitudes
nuisibles de consommation, qui ne semblent pas céder mais s’amplifient et se
développent. C’est ce qui arrive, pour donner seulement un exemple simple, avec
l’augmentation croissante de l’utilisation et de l’intensité des climatiseurs.
Les marchés, en cherchant un gain immédiat, stimulent encore plus la demande.
Si quelqu’un observait de l’extérieur la société planétaire, il s’étonnerait
face à un tel comportement qui semble parfois suicidaire.
56. Pendant ce temps, les pouvoirs économiques
continuent de justifier le système mondial actuel, où priment une spéculation
et une recherche du revenu financier qui tendent à ignorer tout contexte, de
même que les effets sur la dignité humaine et sur l’environnement. Ainsi, il
devient manifeste que la dégradation de l’environnement comme la dégradation
humaine et éthique sont intimement liées. Beaucoup diront qu’ils n’ont pas
conscience de réaliser des actions immorales, parce que la distraction
constante nous ôte le courage de nous rendre compte de la réalité d’un monde
limité et fini. Voilà pourquoi aujourd’hui « tout ce qui est fragile, comme
l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché
divinisé, transformés en règle absolue ».[33]
57. Il est prévisible que, face à l’épuisement de
certaines ressources, se crée progressivement un scénario favorable à de
nouvelles guerres, déguisées en revendications nobles. La guerre produit
toujours de graves dommages à l’environnement comme à la richesse culturelle
des populations, et les risques deviennent gigantesques quand on pense aux
armes nucléaires ainsi qu’aux armes biologiques. En effet, « malgré
l’interdiction par des accords internationaux de la guerre chimique,
bactériologique et biologique, en réalité la recherche continue dans les
laboratoires pour développer de nouvelles armes offensives capables d’altérer
les équilibres naturels ».[34]
Une plus grande attention est requise de la part de la politique pour prévenir
et pour s’attaquer aux causes qui peuvent provoquer de nouveaux conflits. Mais
c’est le pouvoir lié aux secteurs financiers qui résiste le plus à cet effort,
et les projets politiques n’ont pas habituellement de largeur de vue. Pourquoi
veut-on préserver aujourd'hui un pouvoir qui laissera dans l’histoire le
souvenir de son incapacité à intervenir quand il était urgent et nécessaire de
le faire ?
58. Dans certains pays, il y a des exemples positifs
de réussites dans les améliorations de l’environnement tels que
l’assainissement de certaines rivières polluées durant de nombreuses décennies,
ou la récupération de forêts autochtones, ou l’embellissement de paysages grâce
à des œuvres d’assainissement environnemental, ou des projets de construction
de bâtiments de grande valeur esthétique, ou encore, par exemple, grâce à des
progrès dans la production d’énergie non polluante, dans les améliorations du
transport public. Ces actions ne résolvent pas les problèmes globaux, mais
elles confirment que l’être humain est encore capable d’intervenir
positivement. Comme il a été créé pour aimer, du milieu de ses limites,
jaillissent inévitablement des gestes de générosité, de solidarité et
d’attention.
59. En même temps, une écologie superficielle ou
apparente se développe, qui consolide un certain assoupissement et une joyeuse
irresponsabilité. Comme cela arrive ordinairement aux époques de crises
profondes, qui requièrent des décisions courageuses, nous sommes tentés de
penser que ce qui est en train de se passer n’est pas certain. Si nous
regardons les choses en surface, au-delà de quelques signes visibles de
pollution et de dégradation, il semble qu’elles ne soient pas si graves et que
la planète pourrait subsister longtemps dans les conditions actuelles. Ce
comportement évasif nous permet de continuer à maintenir nos styles de vie, de
production et de consommation. C’est la manière dont l’être humain s’arrange
pour alimenter tous les vices autodestructifs : en essayant de ne pas les voir,
en luttant pour ne pas les reconnaître, en retardant les décisions importantes,
en agissant comme si de rien n’était.
VII. DIVERSITÉ D’OPINIONS
60. Finalement, reconnaissons que diverses visions et
lignes de pensée se sont développées à propos de la situation et des solutions
possibles. À l’extrême, d’un côté, certains soutiennent à tout prix le mythe du
progrès et affirment que les problèmes écologiques seront résolus simplement
grâce à de nouvelles applications techniques, sans considérations éthiques ni
changements de fond. De l’autre côté, d’autres pensent que, à travers n’importe
laquelle de ses interventions, l’être humain ne peut être qu’une menace et
nuire à l’écosystème mondial, raison pour laquelle il conviendrait de réduire
sa présence sur la planète et d’empêcher toute espèce d’intervention de sa
part. Entre ces deux extrêmes, la réflexion devrait identifier de possibles
scénarios futurs, parce qu’il n’y a pas une seule issue. Cela donnerait lieu à
divers apports qui pourraient entrer dans un dialogue en vue de réponses
intégrales.
61. Sur beaucoup de questions concrètes, en principe,
l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive et elle comprend
qu’elle doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en
respectant la diversité d’opinions. Mais il suffit de regarder la réalité avec
sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration de notre maison
commune. L’espérance nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de
sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours
faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, des symptômes d’un
point de rupture semblent s’observer, à cause de la rapidité des changements et
de la dégradation, qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles
régionales que dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les
problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon isolée.
Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et, indépendamment de
toute prévision catastrophiste, il est certain que l’actuel système mondial est
insoutenable de divers points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux
fins de l’action humaine : « Si le regard parcourt les régions de notre
planète, il s’aperçoit immédiatement que l’humanité a déçu l’attente divine ».[35]
DEUXIEME CHAPITRE
L’EVANGILE DE LA CREATION
62. Pourquoi inclure dans ce texte, adressé à toutes
les personnes de bonne volonté, un chapitre qui fait référence à des
convictions de foi ? Je n’ignore pas que, dans les domaines de la politique et
de la pensée, certains rejettent avec force l’idée d’un Créateur, ou bien la
considèrent comme sans importance au point de reléguer dans le domaine de l’irrationnel
la richesse que les religions peuvent offrir pour une écologie intégrale et
pour un développement plénier de l’humanité. D’autres fois on considère
qu’elles sont une sous-culture qui doit seulement être tolérée. Cependant, la
science et la religion, qui proposent des approches différentes de la réalité,
peuvent entrer dans un dialogue intense et fécond pour toutes deux.
I. LA LUMIÈRE QU’OFFRE LA FOI
63. Si nous prenons en compte la complexité de la
crise écologique et ses multiples causes, nous devrons reconnaître que les
solutions ne peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de
transformer la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses
richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie intérieure et
à la spiritualité. Si nous cherchons vraiment à construire une écologie qui
nous permette de restaurer tout ce que nous avons détruit, alors aucune branche
des sciences et aucune forme de sagesse ne peut être laissée de côté, la
sagesse religieuse non plus, avec son langage propre. De plus, l’Église
catholique est ouverte au dialogue avec la pensée philosophique, et cela lui
permet de produire diverses synthèses entre foi et raison. En ce qui concerne
les questions sociales, cela peut se constater dans le développement de la
doctrine sociale de l’Église, qui est appelée à s’enrichir toujours davantage à
partir des nouveaux défis.
64. Par ailleurs, même si cette Encyclique s’ouvre au
dialogue avec tous pour chercher ensemble des chemins de libération, je veux
montrer dès le départ comment les convictions de la foi offrent aux chrétiens,
et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations pour la protection de la
nature et des frères et sœurs les plus fragiles. Si le seul fait d’être humain
pousse les personnes à prendre soin de l’environnement dont elles font partie,
« les chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de la
création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie
intégrante de leur foi ».[36]
Donc, c’est un bien pour l’humanité et pour le monde que nous, les croyants,
nous reconnaissions mieux les engagements écologiques qui jaillissent de nos
convictions.
II. LA SAGESSE DES RÉCITS BIBLIQUES
65. Sans répéter ici l’entière théologie de la
création, nous nous demandons ce que disent les grands récits bibliques sur la
création et sur la relation entre l’être humain et le monde. Dans le premier
récit de l’œuvre de la création, dans le livre de la Genèse, le plan de Dieu
inclut la création de l’humanité. Après la création de l’être humain, il est
dit que « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1,
31). La Bible enseigne que chaque être humain est créé par amour, à l’image et
à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26). Cette affirmation nous montre
la très grande dignité de toute personne humaine, qui « n’est pas seulement
quelque chose, mais quelqu’un. Elle est capable de se connaître, de se
posséder, et de librement se donner et entrer en communion avec d’autres
personnes ».[37]
Saint Jean-Paul II a rappelé que l’amour très particulier que le Créateur a
pour chaque être humain lui confère une dignité infinie.[38]
Ceux qui s’engagent dans la défense de la dignité des personnes peuvent trouver
dans la foi chrétienne les arguments les plus profonds pour cet engagement.
Quelle merveilleuse certitude de savoir que la vie de toute personne ne se perd
pas dans un chaos désespérant, dans un monde gouverné par le pur hasard ou par
des cycles qui se répètent de manière absurde ! Le Créateur peut dire à chacun
de nous : « Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu » (Jr 1,
5). Nous avons été conçus dans le cœur de Dieu, et donc, « chacun de nous est
le fruit d’une pensée de Dieu. Chacun de nous est voulu, chacun est aimé,
chacun est nécessaire ».[39]
66. Les récits de la création dans le livre de la
Genèse contiennent, dans leur langage symbolique et narratif, de profonds
enseignements sur l’existence humaine et sur sa réalité historique. Ces récits
suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales
intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre.
Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à
l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché.
L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été
détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de
nous reconnaître comme des créatures limitées. Ce fait a dénaturé aussi la
mission de « soumettre » la terre (cf. Gn 1, 28), de « la cultiver et la
garder» (Gn 2, 15). Comme résultat, la relation, harmonieuse à l’origine
entre l’être humain et la nature, est devenue conflictuelle (cf. Gn 3,
17-19). Pour cette raison, il est significatif que l’harmonie que vivait saint
François d’Assise avec toutes les créatures ait été interprétée comme une
guérison de cette rupture. Saint Bonaventure disait que par la réconciliation
universelle avec toutes les créatures, d’une certaine manière, François
retournait à l’état d’innocence.[40]
Loin de ce modèle, le péché aujourd’hui se manifeste, avec toute sa force de
destruction, dans les guerres, sous diverses formes de violence et de
maltraitance, dans l’abandon des plus fragiles, dans les agressions contre la
nature.
67. Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et
nous a été donnée. Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la
pensée judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui
invite à “dominer” la terre (cf. Gn 1, 28), on favoriserait
l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être humain
comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une interprétation correcte de la
Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous les
chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui
avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de
dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres
créatures. Il est important de lire les textes bibliques dans leur contexte,
avec une herméneutique adéquate, et de se souvenir qu’ils nous invitent à
“cultiver et garder” le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors que
“cultiver” signifie labourer, défricher ou travailler, “garder” signifie
protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une
relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Chaque
communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour
survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la
continuité de sa fertilité pour les générations futures ; car, en définitive, «
au Seigneur la terre » (Ps 24, 1), à lui appartiennent « la terre et
tout ce qui s’y trouve » (Dt 10, 14). Pour cette raison, Dieu dénie
toute prétention de propriété absolue : « La terre ne sera pas vendue avec
perte de tout droit, car la terre m’appartient, et vous n’êtes pour moi que des
étrangers et des hôtes » (Lv 25, 23).
68. Cette responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est
à Dieu implique que l’être humain, doué d’intelligence, respecte les lois de la
nature et les délicats équilibres entre les êtres de ce monde, parce que « lui
commanda, eux furent créés, il les posa pour toujours et à jamais sous une loi
qui jamais ne passera » (Ps 148, 5b-6). C’est pourquoi la législation
biblique s’attarde à proposer à l’être humain diverses normes, non seulement en
relation avec ses semblables, mais aussi en relation avec les autres êtres
vivants : « Si tu vois tomber en chemin l’âne ou le bœuf de ton frère, tu ne te
déroberas pas [...] Si tu rencontres en chemin un nid avec des oisillons ou des
œufs, sur un arbre ou par terre, et que la mère soit posée sur les oisillons ou
les œufs, tu ne prendras pas la mère sur les petits » (Dt 22, 4.6). Dans
cette perspective, le repos du septième jour n’est pas proposé seulement à
l’être humain, mais aussi « afin que se reposent ton âne et ton bœuf » (Ex 23,
12). Nous nous apercevons ainsi que la Bible ne donne pas lieu à un
anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures.
69. En même temps que nous pouvons faire un usage
responsable des choses, nous sommes appelés à reconnaître que les autres êtres
vivants ont une valeur propre devant Dieu et, « par leur simple existence ils
le bénissent et lui rendent gloire »[41],
puisque « le Seigneur se réjouit en ses œuvres » (Ps 104, 31).
Précisément en raison de sa dignité unique et par le fait d’être doué
d’intelligence, l’être humain est appelé à respecter la création avec ses lois
internes, car « le Seigneur, par la sagesse, a fondé la terre » (Pr 3,
19). Aujourd'hui l’Église ne dit pas seulement que les autres créatures sont
complètement subordonnées au bien de l’homme, comme si elles n’avaient aucune
valeur en elles-mêmes et que nous pouvions en disposer à volonté. Pour cette
raison, les Évêques d’Allemagne ont enseigné au sujet des autres créatures qu’«
on pourrait parler de la priorité de l’être sur le fait d’être utile »[42].
Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce qui
serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa bonté et sa
perfection propres [...] Les différentes créatures, voulues en leur être
propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté
infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de
chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses ».[43]
70. Dans le récit concernant Caïn et Abel, nous voyons
que la jalousie a conduit Caïn à commettre l’injustice extrême contre son
frère. Ce qui a provoqué à son tour une rupture de la relation entre Caïn et
Dieu, et entre Caïn et la terre dont il a été exilé. Ce passage est résumé dans
la conversation dramatique entre Dieu et Caïn. Dieu demande : « Où est ton
frère Abel ? ». Caïn répond qu’il ne sait pas et Dieu insiste : « Qu’as-tu fait
? Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit
et chassé du sol fertile » (Gn 4, 9-11). La négligence dans la charge de
cultiver et de garder une relation adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai
le devoir d’attention et de protection, détruit ma relation intérieure avec
moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre. Quand toutes ces
relations sont négligées, quand la justice n’habite plus la terre, la Bible
nous dit que toute la vie est en danger. C’est ce que nous enseigne le récit
sur Noé, quand Dieu menace d’exterminer l’humanité en raison de son incapacité
constante à vivre à la hauteur des exigences de justice et de paix : « La fin
de toute chair est arrivée, je l’ai décidé, car la terre est pleine de violence
à cause des hommes » (Gn 6, 13). Dans ces récits si anciens, emprunts de
profond symbolisme, une conviction actuelle était déjà présente : tout est lié,
et la protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la
nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité
aux autres.
71. Même si « la méchanceté de l’homme était grande
sur la terre » (Gn 6, 5) et que Dieu « se repentit d’avoir fait l’homme
sur la terre » (Gn 6, 6), il a cependant décidé d’ouvrir un chemin de
salut à travers Noé qui était resté intègre et juste. Ainsi, il a donné à
l’humanité la possibilité d’un nouveau commencement. Il suffit d’un être humain
bon pour qu’il y ait de l’espérance ! La tradition biblique établit clairement
que cette réhabilitation implique la redécouverte et le respect des rythmes
inscrits dans la nature par la main du Créateur. Cela se voit, par exemple,
dans la loi sur le Sabbat. Le septième jour, Dieu se reposa de toutes
ses œuvres. Il ordonna à Israël que chaque septième jour soit un jour de repos,
un Sabbat (cf. Gn 2, 2-3 ; Ex 16, 23 ; 20, 10). Par
ailleurs, une année sabbatique fut également instituée pour Israël et sa terre,
tous les sept ans (cf. Lv 25, 1-4), pendant laquelle un repos complet
était accordé à la terre ; on ne semait pas, on moissonnait seulement ce qui
était indispensable pour subsister et offrir l’hospitalité (cf. Lv 25,
4-6). Enfin, passées sept semaines d’années, c’est-à-dire quarante-neuf ans, le
Jubilé était célébré, année de pardon universel et d’« affranchissement de tous
les habitants » (Lv 25, 10). Le développement de cette législation a
cherché à assurer l’équilibre et l’équité dans les relations de l’être humain
avec ses semblables et avec la terre où il vivait et travaillait. Mais en même
temps c’était une reconnaissance que le don de la terre, avec ses fruits,
appartient à tout le peuple. Ceux qui cultivaient et gardaient le territoire
devaient en partager les fruits, spécialement avec les pauvres, les veuves, les
orphelins et les étrangers : « Lorsque vous récolterez la moisson de votre
pays, vous ne moissonnerez pas jusqu’à l’extrême bout du champ. Tu ne glaneras
pas ta moisson, tu ne grappilleras pas ta vigne et tu ne ramasseras pas les
fruits tombés dans ton verger. Tu les abandonneras au pauvre et à l’étranger »
(Lv 19, 9-10).
72. Les Psaumes invitent souvent l’être humain à louer
le Dieu créateur : « qui affermit la terre sur les eaux, car éternel est son
amour ! » (Ps 136, 6). Mais ils invitent aussi les autres créatures à le
louer : « Louez-le Soleil et Lune, louez-le, tous les astres de lumière ;
louez-le, cieux des cieux, et les eaux par-dessus les cieux ! Qu’ils louent le
nom du Seigneur : lui commanda et ils furent créés » (Ps 148, 3-5). Nous
existons non seulement par le pouvoir de Dieu, mais aussi face à lui et près de
lui. C’est pourquoi nous l’adorons.
73. Les écrits des prophètes invitent à retrouver la
force dans les moments difficiles en contemplant le Dieu tout-puissant qui a
créé l’univers. Le pouvoir infini de Dieu ne nous porte pas à fuir sa tendresse
paternelle, parce qu’en lui affection et vigueur se conjuguent. De fait, toute
saine spiritualité implique en même temps d’accueillir l’amour de Dieu, et
d’adorer avec confiance le Seigneur pour sa puissance infinie. Dans la Bible,
le Dieu qui libère et sauve est le même qui a créé l’univers, et ces deux modes
divins d’agir sont intimement et inséparablement liés : « Ah Seigneur, voici
que tu as fait le ciel et la terre par ta grande puissance et ton bras étendu.
À toi, rien n’est impossible ! [...] Tu fis sortir ton peuple Israël du pays
d’Égypte par signes et prodiges » (Jr 32, 17.21). « Le Seigneur est un
Dieu éternel, créateur des extrémités de la terre. Il ne se fatigue ni ne se
lasse, insondable est son intelligence. Il donne la force à celui qui est fatigué,
à celui qui est sans vigueur il prodigue le réconfort » (Is 40, 28b-29).
74. L’expérience de la captivité à Babylone a engendré
une crise spirituelle qui a favorisé un approfondissement de la foi en Dieu,
explicitant sa toute-puissance créatrice, pour exhorter le peuple à retrouver
l’espérance dans sa situation malheureuse. Des siècles plus tard, en un autre
moment d’épreuves et de persécution, quand l’Empire romain cherchait à imposer
une domination absolue, les fidèles retrouvaient consolation et espérance en
grandissant dans la confiance au Dieu tout-puissant, et ils chantaient : «
Grandes et merveilleuses sont tes œuvres, Seigneur, Dieu Maître-de-tout ;
justes et droites sont tes voies, ô Roi des nations » (Ap 15, 3). S’il a
pu créer l’univers à partir de rien, il peut aussi intervenir dans ce monde et
vaincre toute forme de mal. Par conséquent l’injustice n’est pas invincible.
75. Nous ne pouvons pas avoir une spiritualité qui
oublie le Dieu tout-puissant et créateur. Autrement, nous finirions par adorer
d’autres pouvoirs du monde, ou bien nous nous prendrions la place du Seigneur
au point de prétendre piétiner la réalité créée par lui, sans connaître de
limite. La meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de mettre
fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de
proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde, parce
qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la
réalité ses propres lois et intérêts.
III. LE MYSTÈRE DE L’UNIVERS
76. Pour la tradition judéo-chrétienne, dire
“création”, c’est signifier plus que “nature”, parce qu’il y a un rapport avec
un projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une
signification. La nature s’entend d’habitude comme un système qui s’analyse, se
comprend et se gère, mais la création peut seulement être comprise comme un don
qui surgit de la main ouverte du Père de tous, comme une réalité illuminée par
l’amour qui nous appelle à une communion universelle.
77. « Par la parole du Seigneur les cieux ont été
faits » (Ps 33, 6). Il nous est ainsi indiqué que le monde est issu
d’une décision, non du chaos ou du hasard, ce qui le rehausse encore plus. Dans
la parole créatrice il y a un choix libre exprimé. L’univers n’a pas surgi
comme le résultat d’une toute puissance arbitraire, d’une démonstration de
force ni d’un désir d’auto-affirmation. La création est de l’ordre de l’amour.
L’amour de Dieu est la raison fondamentale de toute la création : « Tu aimes en
effet tout ce qui existe, tu n’as de dégout pour rien de ce que tu as fait ;
car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formé » (Sg 11,
24). Par conséquent, chaque créature est l’objet de la tendresse du Père, qui
lui donne une place dans le monde. Même la vie éphémère de l’être le plus
insignifiant est l’objet de son amour, et, en ces peu de secondes de son
existence, il l’entoure de son affection. Saint Basile le Grand disait que le
Créateur est aussi « la bonté sans mesure »,[44]
et Dante Alighieri parlait de l’« amour qui meut le soleil et les étoiles ».[45]
Voilà pourquoi à partir des œuvres créées, on s’élève « vers sa miséricorde
pleine d’amour ».[46]
78. En même temps, la pensée judéo-chrétienne a
démystifié la nature. Sans cesser de l’admirer pour sa splendeur et son
immensité, elle ne lui a plus attribué de caractère divin. De cette manière,
notre engagement envers elle est davantage mis en exergue. Un retour à la
nature ne peut se faire au prix de la liberté et de la responsabilité de l’être
humain, qui fait partie du monde avec le devoir de cultiver ses propres capacités
pour le protéger et en développer les potentialités. Si nous reconnaissons la
valeur et la fragilité de la nature, et en même temps les capacités que le
Créateur nous a octroyées, cela nous permet d’en finir aujourd’hui avec le
mythe moderne du progrès matériel sans limite. Un monde fragile, avec un être
humain à qui Dieu en confie le soin, interpelle notre intelligence pour
reconnaître comment nous devrions orienter, cultiver et limiter notre pouvoir.
79. Dans cet univers, constitué de systèmes ouverts
qui entrent en communication les uns avec les autres, nous pouvons découvrir
d’innombrables formes de relations et de participations. Cela conduit à penser
également à l’ensemble comme étant ouvert à la transcendance de Dieu, dans
laquelle il se développe. La foi nous permet d’interpréter le sens et la beauté
mystérieuse de ce qui arrive. La liberté humaine peut offrir son apport
intelligent à une évolution positive, mais elle peut aussi être à l’origine de
nouveaux maux, de nouvelles causes de souffrance et de vrais reculs. Cela donne
lieu à la passionnante et dramatique histoire humaine, capable de se convertir
en un déploiement de libération, de croissance, de salut et d’amour, ou en un
chemin de décadence et de destruction mutuelle. Voilà pourquoi l’action de
l’Église ne tente pas seulement de rappeler le devoir de prendre soin de la
nature, mais en même temps « elle doit aussi surtout protéger l’homme de sa
propre destruction ».[47]
80. Cependant Dieu, qui veut agir avec nous et compte
sur notre coopération, est aussi capable de tirer quelque chose de bon du mal
que nous commettons, parce que « l’Esprit Saint possède une imagination
infinie, propre à l’Esprit divin, qui sait prévoir et résoudre les problèmes
des affaires humaines, même les plus complexes et les plus impénétrables ».[48]
Il a voulu se limiter lui-même de quelque manière, en créant un monde qui a
besoin de développement, où beaucoup de choses que nous considérons mauvaises,
dangereuses ou sources de souffrances, font en réalité partie des douleurs de
l’enfantement qui nous stimulent à collaborer avec le Créateur.[49]
Il est présent au plus intime de toute chose, sans conditionner l’autonomie de
sa créature, et cela aussi donne lieu à l’autonomie légitime des réalités
terrestres.[50]
Cette présence divine, qui assure la permanence et le développement de tout
être, « est la continuation de l’action créatrice ».[51]
L’Esprit de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent que, du
sein même des choses, quelque chose de nouveau peut surgir : « La nature n’est rien
d’autre que la connaissance d’un certain art, concrètement l’art divin inscrit
dans les choses, et par lequel les choses elles-mêmes se meuvent vers une fin
déterminée. Comme si l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois
de pouvoir se modifier de lui-même pour prendre la forme de navire ».[52]
81. Bien que l’être humain suppose aussi des processus
évolutifs, il implique une nouveauté qui n’est pas complètement explicable par
l’évolution d’autres systèmes ouverts. Chacun de nous a, en soi, une identité
personnelle, capable d’entrer en dialogue avec les autres et avec Dieu
lui-même. La capacité de réflexion, l’argumentation, la créativité,
l’interprétation, l’élaboration artistique, et d’autres capacités inédites,
montrent une singularité qui transcende le domaine physique et biologique. La
nouveauté qualitative qui implique le surgissement d’un être personnel dans
l’univers matériel suppose une action directe de Dieu, un appel particulier à
la vie et à la relation d’un Tu avec un autre tu. À partir des récits
bibliques, nous considérons l’être humain comme un sujet, qui ne peut jamais
être réduit à la catégorie d’objet.
82. Mais il serait aussi erroné de penser que les
autres êtres vivants doivent être considérés comme de purs objets, soumis à la
domination humaine arbitraire. Quand on propose une vision de la nature
uniquement comme objet de profit et d’intérêt, cela a aussi de sérieuses
conséquences sur la société. La vision qui consolide l’arbitraire du plus fort
a favorisé d’immenses inégalités, injustices et violences pour la plus grande
partie de l’humanité, parce que les ressources finissent par appartenir au
premier qui arrive ou qui a plus de pouvoir : le gagnant emporte tout. L’idéal
d’harmonie, de justice, de fraternité et de paix que propose Jésus est aux
antipodes d’un pareil modèle, et il l’exprimait ainsi avec respect aux pouvoirs
de son époque : « Les chefs des nations dominent sur elles en maîtres, et les
grands leur font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous :
au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur» (Mt
20, 25-26).
83. L’aboutissement de la marche de l’univers se
trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité,
axe de la maturation universelle.[53]
Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination
despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures. La fin
ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes,
avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude
transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être
humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est
appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur.
IV. LE MESSAGE DE CHAQUE CRÉATURE
DANS L’HARMONIE DE TOUTE LA CRÉATION
DANS L’HARMONIE DE TOUTE LA CRÉATION
84. Quand nous insistons pour dire que l’être humain
est image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a
une fonction et qu’aucune n’est superflue. Tout l’univers matériel est un
langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous. Le sol,
l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu. L’histoire de l’amitié de
chacun avec Dieu se déroule toujours dans un espace géographique qui se
transforme en un signe éminemment personnel, et chacun de nous a en mémoire des
lieux dont le souvenir lui fait beaucoup de bien. Celui qui a grandi dans les
montagnes, ou qui, enfant, s’asseyait pour boire l’eau au ruisseau, ou qui
jouait sur une place de son quartier, quand il retourne sur ces lieux se sent
appelé à retrouver sa propre identité.
85. Dieu a écrit un beau livre « dont les lettres sont
représentées par la multitude des créatures présentes dans l’univers ».[54]
Les Évêques du Canada ont souligné à juste titre qu’aucune créature ne reste en
dehors de cette manifestation de Dieu : « Des vues panoramiques les plus larges
à la forme de vie la plus infime, la nature est une source constante
d’émerveillement et de crainte. Elle est, en outre, une révélation continue du
divin ».[55]
Les Évêques du Japon, pour leur part, ont rappelé une chose très suggestive : «
Entendre chaque créature chanter l’hymne de son existence, c’est vivre
joyeusement dans l’amour de Dieu et dans l’espérance ».[56]
Cette contemplation de la création nous permet de découvrir à travers chaque
chose un enseignement que Dieu veut nous transmettre, parce que « pour le
croyant contempler la création c’est aussi écouter un message, entendre une
voix paradoxale et silencieuse ».[57]
Nous pouvons affirmer qu’« à côté de la révélation proprement dite, qui est
contenue dans les Saintes Écritures, il y a donc une manifestation divine dans
le soleil qui resplendit comme dans la nuit qui tombe ».[58]
En faisant attention à cette manifestation, l’être humain apprend à se
reconnaître lui-même dans la relation avec les autres créatures : « Je
m’exprime en exprimant le monde ; j’explore ma propre sacralité en déchiffrant
celle du monde ».[59]
86. L’ensemble de l’univers, avec ses relations
multiples, révèle mieux l’inépuisable richesse de Dieu. Saint Thomas d’Aquin
faisait remarquer avec sagesse que la multiplicité et la variété proviennent «
de l’intention du premier agent », qui a voulu que « ce qui manque à chaque
chose pour représenter la bonté divine soit suppléé par les autres »,[60]
parce qu’« une seule créature ne saurait suffire à [...] représenter comme il
convient »[61]
sa bonté. C’est pourquoi nous avons besoin de saisir la variété des choses dans
leurs relations multiples.[62]
Par conséquent, on comprend mieux l’importance et le sens de n’importe quelle
créature si on la contemple dans l’ensemble du projet de Dieu. Le Catéchisme
l’enseigne ainsi : « L’interdépendance des créatures est voulue par Dieu. Le
soleil et la lune, le cèdre et la petite fleur, l’aigle et le moineau : le
spectacle de leurs innombrables diversités et inégalités signifie qu’aucune des
créatures ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en dépendance les unes
des autres, pour se compléter mutuellement, au service les unes des autres ».[63]
87. Quand nous prenons conscience du reflet de Dieu
qui se trouve dans tout ce qui existe, le cœur expérimente le désir d’adorer le
Seigneur pour toutes ses créatures, et avec elles, comme cela est exprimé dans
la belle hymne de saint François d’Assise :
« Loué sois-tu, mon Seigneur,
avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère soleil,
qui est le jour, et par lui tu nous illumines.
Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur,
de toi, Très Haut, il porte le signe.
Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour sœur lune et les étoiles,
dans le ciel tu les as formées
claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,
et pour l’air et le nuage et le ciel serein
et tous les temps,
par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,
qui est très utile et humble,
et précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,
par lequel tu illumines la nuit,
et il est beau et joyeux, et robuste et fort ».[64]
avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère soleil,
qui est le jour, et par lui tu nous illumines.
Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur,
de toi, Très Haut, il porte le signe.
Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour sœur lune et les étoiles,
dans le ciel tu les as formées
claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,
et pour l’air et le nuage et le ciel serein
et tous les temps,
par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,
qui est très utile et humble,
et précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,
par lequel tu illumines la nuit,
et il est beau et joyeux, et robuste et fort ».[64]
88. Les Évêques du Brésil ont souligné que toute la
nature, en plus de manifester Dieu, est un lieu de sa présence. En toute créature
habite son Esprit vivifiant qui nous appelle à une relation avec lui.[65]
La découverte de cette présence stimule en nous le développement des « vertus
écologiques ».[66]
Mais en disant cela, n’oublions pas qu’il y a aussi une distance infinie entre
la nature et le Créateur, et que les choses de ce monde ne possèdent pas la
plénitude de Dieu. Autrement, nous ne ferions pas de bien aux créatures, parce
que nous ne reconnaîtrions pas leur vraie et propre place, et nous finirions
par exiger d’elles indûment ce que, en leur petitesse, elles ne peuvent pas
nous donner.
V. UNE COMMUNION UNIVERSELLE
89. Les créatures de ce monde ne peuvent pas être
considérées comme un bien sans propriétaire : « Tout est à toi, Maître, ami de
la vie » (Sg 11, 26). D’où la conviction que, créés par le même Père,
nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et
formons une sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous pousse
à un respect sacré, tendre et humble. Je veux rappeler que « Dieu nous a unis
si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est
comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction
d’une espèce comme si elle était une mutilation ».[67]
90. Cela ne signifie pas que tous les êtres vivants
sont égaux ni ne retire à l’être humain sa valeur particulière, qui entraîne en
même temps une terrible responsabilité. Cela ne suppose pas non plus une
divinisation de la terre qui nous priverait de l’appel à collaborer avec elle
et à protéger sa fragilité. Ces conceptions finiraient par créer de nouveaux
déséquilibres pour échapper à la réalité qui nous interpelle.[68]
Parfois on observe une obsession pour nier toute prééminence à la personne
humaine, et il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que nous
n’engageons pas pour défendre l’égale dignité entre les êtres humains. Il est
vrai que nous devons nous préoccuper que d’autres êtres vivants ne soient pas
traités de manière irresponsable. Mais les énormes inégalités qui existent
entre nous devraient nous exaspérer particulièrement, parce que nous continuons
à tolérer que les uns se considèrent plus dignes que les autres. Nous ne nous
rendons plus compte que certains croupissent dans une misère dégradante, sans
réelle possibilité d’en sortir, alors que d’autres ne savent même pas quoi
faire de ce qu’ils possèdent, font étalage avec vanité d’une soi-disant
supériorité, et laissent derrière eux un niveau de gaspillage qu’il serait
impossible de généraliser sans anéantir la planète. Nous continuons à admettre
en pratique que les uns se sentent plus humains que les autres, comme s’ils
étaient nés avec de plus grands droits.
91. Le sentiment d’union intime avec les autres êtres
de la nature ne peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur
de la tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres
humains. L’incohérence est évidente de la part de celui qui lutte contre le trafic
d’animaux en voie d’extinction mais qui reste complètement indifférent face à
la traite des personnes, se désintéresse des pauvres, ou s’emploie à détruire
un autre être humain qui lui déplaît. Ceci met en péril le sens de la lutte
pour l’environnement. Ce n’est pas un hasard si dans l’hymne à la création où
saint François loue Dieu pour ses créatures, il ajoute ceci : « Loué sois-tu,
mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ». Tout est lié. Il
faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers
les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de la
société.
92. D’autre part, quand le cœur est authentiquement
ouvert à une communion universelle, rien ni personne n’est exclu de cette
fraternité. Par conséquent, il est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté
envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par s’étendre, d’une
manière ou d’une autre, au traitement que nous réservons aux autres êtres
humains. Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un
animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes.
Toute cruauté sur une quelconque créature « est contraire à la dignité
humaine».[69]
Nous ne pouvons pas considérer que nous aimons beaucoup si nous excluons de nos
intérêts une partie de la réalité : « Paix, justice et sauvegarde de la création
sont trois thèmes absolument liés, qui ne pourront pas être mis à part pour
être traités séparément sous peine de tomber de nouveau dans le réductionnisme
».[70]
Tout est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères
et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu
porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre
affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre.
VI. LA DESTINATION COMMUNE DES BIENS
93. Aujourd’hui croyants et non croyants, nous sommes
d’accord sur le fait que la terre est essentiellement un héritage commun, dont
les fruits doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela devient une
question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde pour tous. Par
conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale
qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. Le principe
de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens
et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une “règle d’or” du
comportement social, et « le premier principe de tout l’ordre éthico-social ».[71]
La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit
à la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de
propriété privée. Saint Jean-Paul II a rappelé avec beaucoup de force cette
doctrine en affirmant que « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour
qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne ».[72]
Ce sont des paroles denses et fortes. Il a souligné qu’« un type de
développement qui ne respecterait pas et n’encouragerait pas les droits
humains, personnels et sociaux, économiques et politiques, y compris les droits
des nations et des peuples, ne serait pas non plus digne de l’homme ».[73]
Avec une grande clarté, il a expliqué que « l’Église défend, certes, le droit à
la propriété privée, mais elle enseigne avec non moins de clarté que sur toute
propriété pèse toujours une hypothèque sociale, pour que les biens servent à la
destination générale que Dieu leur a donnée ».[74]
Par conséquent, il a rappelé qu’« il n’est [...] pas permis, parce que cela
n’est pas conforme au dessein de Dieu, de gérer ce don d’une manière telle que
tous ces bienfaits profitent seulement à quelques uns ».[75]
Cela remet sérieusement en cause les habitudes injustes d’une partie de
l’humanité.[76]
94. Le riche et le pauvre ont une égale dignité parce
que « le Seigneur les a faits tous les deux » (Pr 22, 2), « petits et
grands, c’est lui qui les a faits » (Sg 6, 7), et « il fait lever son
soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5, 45). Cela a des
conséquences pratiques, comme celles qu’ont énoncées les Évêques du Paraguay :
« Tout paysan a le droit naturel de posséder un lot de terre raisonnable, où il
puisse établir sa demeure, travailler pour la subsistance de sa famille et
avoir la sécurité de l’existence. Ce droit doit être garanti pour que son
exercice ne soit pas illusoire mais réel. Cela signifie que, en plus du titre
de propriété, le paysan doit compter sur les moyens d’éducation technique, sur
des crédits, des assurances et la commercialisation ».[77]
95. L’environnement est un bien collectif, patrimoine
de toute l’humanité, sous la responsabilité de tous. Celui qui s’approprie
quelque chose, c’est seulement pour l’administrer pour le bien de tous. Si nous
ne le faisons pas, nous chargeons notre conscience du poids de nier l’existence
des autres. Pour cette raison, les Évêques de Nouvelle Zélande se sont demandés
ce que le commandement « tu ne tueras pas » signifie quand « vingt pour cent de
la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent
aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour
survivre ».[78]
VII. LE REGARD DE JÉSUS
96. Jésus reprend la foi biblique au Dieu créateur et
met en relief un fait fondamental : Dieu est Père (cf. Mt 11, 25). Dans
les dialogues avec ses disciples, Jésus les invitait à reconnaître la relation
paternelle que Dieu a avec toutes ses créatures, et leur rappelait, avec une
émouvante tendresse, comment chacune d’elles est importante aux yeux de
celui-ci : « Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux as ? Et pas un d’entre
eux n’est en oubli devant Dieu » (Lc 12, 6). « Regardez les oiseaux du
ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et
votre Père céleste les nourrit» (Mt 6, 26).
97. Le Seigneur pouvait inviter les autres à être
attentifs à la beauté qu’il y a dans le monde, parce qu’il était lui-même en
contact permanent avec la nature et y prêtait une attention pleine d’affection
et de stupéfaction. Quand il parcourait chaque coin de sa terre, il s’arrêtait
pour contempler la beauté semée par son Père, et il invitait ses disciples à
reconnaître dans les choses un message divin : « Levez les yeux et regardez les
champs, ils sont blancs pour la moisson » (Jn 4, 35). « Le Royaume des
Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son
champ. C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais quand il a poussé,
c’est la plus grande des plantes potagères, qui devient même un arbre » (Mt 13,
31-32).
98. Jésus vivait en pleine harmonie avec la création,
et les autres s’en émerveillaient : « Quel est donc celui-ci pour que même la
mer et les vents lui obéissent ? » (Mt 8, 27). Il n’apparaissait pas
comme un ascète séparé du monde ou un ennemi des choses agréables de la vie. Il
disait, se référant à lui-même : « Vient le Fils de l’homme, mangeant et
buvant, et l’on dit : voilà un glouton et un ivrogne» (Mt 11, 19). Il
était loin des philosophies qui dépréciaient le corps, la matière et les choses
de ce monde. Cependant, ces dualismes malsains en sont arrivés à avoir une
influence importante chez certains penseurs chrétiens au long de l’histoire, et
ont défiguré l’Évangile. Jésus travaillait de ses mains, au contact direct
quotidien avec la matière créée par Dieu pour lui donner forme avec son habileté
d’artisan. Il est frappant que la plus grande partie de sa vie ait été
consacrée à cette tâche, dans une existence simple qui ne suscitait aucune
admiration. « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ?» (Mc 6,
3). Il a sanctifié de cette manière le travail et lui a conféré une valeur
particulière pour notre maturation. Saint Jean-Paul II enseignait qu’« en
supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié pour nous,
l’homme collabore en quelque manière avec le Fils de Dieu à la Rédemption ».[79]
99. Pour la compréhension chrétienne de la réalité, le
destin de toute la création passe par le mystère du Christ, qui est présent
depuis l’origine de toutes choses : « Tout est créé par lui et pour lui » (Col
1, 16).[80]
Le Prologue de l’Évangile de Jean (1, 1-18) montre l’activité créatrice du
Christ comme Parole divine (Logos). Mais ce prologue surprend en
affirmant que cette Parole « s’est faite chair » (Jn 1, 14). Une
Personne de la Trinité s’est insérée dans le cosmos créé, en y liant son sort
jusqu’à la croix. Dès le commencement du monde, mais de manière particulière
depuis l’Incarnation, le mystère du Christ opère secrètement dans l’ensemble de
la réalité naturelle, sans pour autant en affecter l’autonomie.
100. Le Nouveau Testament ne nous parle pas seulement
de Jésus terrestre et de sa relation si concrète et aimable avec le monde. Il
le montre aussi comme ressuscité et glorieux, présent dans toute la création
par sa Seigneurie universelle : « Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute
plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la
terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1,
19-20). Cela nous projette à la fin des temps, quand le Fils remettra toutes
choses au Père et que « Dieu sera tout en tous » (1Co 15, 28). De cette
manière, les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une
réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe
mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des
champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont
maintenant remplis de sa présence lumineuse.
TROISIEME CHAPITRE
LA RACINE HUMAINE
DE LA CRISE ECOLOGIQUE
DE LA CRISE ECOLOGIQUE
101. Il ne sert à rien de décrire les symptômes de la
crise écologique, si nous n’en reconnaissons pas la racine humaine. Il y a une
manière de comprendre la vie et l’activité humaine qui a dévié et qui contredit
la réalité jusqu’à lui nuire. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous arrêter pour y
penser ? Dans cette réflexion, je propose que nous nous concentrions sur le
paradigme technocratique dominant ainsi que sur la place de l’être humain et de
son action dans le monde.
I. LA TECHNOLOGIE : CRÉATIVITÉ ET POUVOIR
102. L’humanité est entrée dans une ère nouvelle où le
pouvoir technologique nous met à la croisée des chemins. Nous sommes les
héritiers de deux siècles d’énormes vagues de changement : la machine à vapeur,
le chemin de fer, le télégraphe, l’électricité, l’automobile, l’avion, les
industries chimiques, la médecine moderne, l’informatique, et, plus récemment,
la révolution digitale, la robotique, les biotechnologies et les
nanotechnologies. Il est juste de se réjouir face à ces progrès, et de
s’enthousiasmer devant les grandes possibilités que nous ouvrent ces constantes
nouveautés, parce que « la science et la technologie sont un produit
merveilleux de la créativité humaine, ce don de Dieu ».[81]
La modification de la nature à des fins utiles est une caractéristique de
l’humanité depuis ses débuts, et ainsi la technique « exprime la tendance de
l’esprit humain au dépassement progressif de certains conditionnements
matériels ».[82]
La technologie a porté remède à d’innombrables maux qui nuisaient à l’être
humain et le limitaient. Nous ne pouvons pas ne pas valoriser ni apprécier le
progrès technique, surtout dans la médecine, l’ingénierie et les
communications. Et comment ne pas reconnaître tous les efforts de beaucoup de
scientifiques et de techniciens qui ont apporté des alternatives pour un
développement durable ?
103. La techno-science, bien orientée, non seulement
peut produire des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie
de l’être humain, depuis les objets usuels pour la maison jusqu’aux grands
moyens de transports, ponts, édifices, lieux publics, mais encore est capable
de produire du beau et de “projeter” dans le domaine de la beauté l’être humain
immergé dans le monde matériel. Peut-on nier la beauté d’un avion, ou de
certains gratte-ciels ? Il y a de belles œuvres picturales et musicales
réalisées grâce à l’utilisation de nouveaux instruments techniques. Ainsi, dans
la recherche de la beauté de la part de celui qui produit la technique, et en
celui qui contemple cette beauté, se réalise un saut vers une certaine
plénitude proprement humaine.
104. Mais nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie
nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre propre
ADN et d’autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible
pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout le
pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble
de l’humanité et sur le monde entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de
pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours bien,
surtout si l’on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser. Il
suffit de se souvenir des bombes atomiques lancées en plein XXème
siècle, comme du grand déploiement technologique étalé par le nazisme, par le
communisme et par d’autres régimes totalitaires au service de l’extermination
de millions de personnes, sans oublier, qu’aujourd’hui, la guerre possède des
instruments toujours plus mortifères. En quelles mains se trouve et pourrait se
trouver tant de pouvoir ? Il est terriblement risqué qu’il réside en une petite
partie de l’humanité.
105. On a tendance à croire « que tout accroissement
de puissance est en soi ‘progrès’, un degré plus haut de sécurité, d’utilité,
de bien-être, de force vitale, de plénitude des valeurs »,[83]
comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir
technologique et économique lui-même. Le fait est que « l’homme moderne n’a pas
reçu l’éducation nécessaire pour faire un bon usage de son pouvoir »,[84]
parce que l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un
développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience.
Chaque époque tend à développer peu d’auto-conscience de ses propres limites.
C’est pourquoi, il est possible qu’aujourd’hui l’humanité ne se rende pas
compte de la gravité des défis qui se présentent, et « que la possibilité
devienne sans cesse plus grande pour l’homme de mal utiliser sa puissance »
quand « existent non pas des normes de liberté, mais de prétendues nécessités :
l’utilité et la sécurité ».[85]
L’être humain n’est pas pleinement autonome. Sa liberté est affectée quand elle
se livre aux forces aveugles de l’inconscient, des nécessités immédiates, de
l’égoïsme, de la violence. En ce sens, l’homme est nu, exposé à son propre
pouvoir toujours grandissant, sans avoir les éléments pour le contrôler. Il
peut disposer de mécanismes superficiels, mais nous pouvons affirmer qu’il lui
manque aujourd’hui une éthique solide, une culture et une spiritualité qui le
limitent réellement et le contiennent dans une abnégation lucide.
II. LA GLOBALISATION
DU PARADIGME TECHNOCRATIQUE
DU PARADIGME TECHNOCRATIQUE
106. Le problème fondamental est autre, encore plus
profond : la manière dont l’humanité a, de fait, assumé la technologie et son
développement avec un paradigme homogène et unidimensionnel. Une
conception du sujet y est mise en relief qui, progressivement, dans le
processus logique et rationnel, embrasse et ainsi possède l’objet qui se trouve
à l’extérieur. Ce sujet se déploie dans l’élaboration de la méthode
scientifique avec son expérimentation, qui est déjà explicitement une technique
de possession, de domination et de transformation. C’est comme si le sujet se
trouvait devant quelque chose d’informe, totalement disponible pour sa
manipulation. L’intervention humaine sur la nature s’est toujours vérifiée,
mais longtemps elle a eu comme caractéristique d’accompagner, de se plier aux
possibilités qu’offrent les choses elles-mêmes. Il s’agissait de recevoir ce
que la réalité naturelle permet de soi, comme en tendant la main. Maintenant,
en revanche, ce qui intéresse c’est d’extraire tout ce qui est possible des
choses par l’imposition de la main de l’être humain, qui tend à ignorer ou à
oublier la réalité même de ce qu’il a devant lui. Voilà pourquoi l’être humain
et les choses ont cessé de se tendre amicalement la main pour entrer en
opposition. De là, on en vient facilement à l’idée d’une croissance infinie ou
illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de
technologues. Cela suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de
la planète, qui conduit à la “ presser ” jusqu’aux limites et même au-delà des
limites. C’est le faux présupposé « qu’il existe une quantité illimitée
d’énergie et de ressources à utiliser, que leur régénération est possible dans
l’immédiat et que les effets négatifs des manipulations de l’ordre naturel
peuvent être facilement absorbés ».[86]
107. On peut dire, par conséquent, qu’à l’origine de
beaucoup de difficultés du monde actuel, il y a avant tout la tendance, pas
toujours consciente, à faire de la méthodologie et des objectifs de la
techno-science un paradigme de compréhension qui conditionne la vie des
personnes et le fonctionnement de la société. Les effets de l’application de ce
moule à toute la réalité, humaine et sociale, se constatent dans la dégradation
de l’environnement, mais cela est seulement un signe du réductionnisme qui
affecte la vie humaine et la société dans toutes leurs dimensions. Il faut
reconnaître que les objets produits par la technique ne sont pas neutres, parce
qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner les styles de vie, et
orientent les possibilités sociales dans la ligne des intérêts de groupes de
pouvoir déterminés. Certains choix qui paraissent purement instrumentaux sont,
en réalité, des choix sur le type de vie sociale que l’on veut développer.
108. Il n’est pas permis de penser qu’il est possible
de défendre un autre paradigme culturel, et de se servir de la technique comme
d’un pur instrument, parce qu’aujourd’hui le paradigme technocratique est
devenu tellement dominant qu’il est très difficile de faire abstraction de ses
ressources, et il est encore plus difficile de les utiliser sans être dominé
par leur logique. C’est devenu une contre-culture de choisir un style de vie
avec des objectifs qui peuvent être, au moins en partie, indépendants de la
technique, de ses coûts, comme de son pouvoir de globalisation et de
massification. De fait, la technique a un penchant pour chercher à tout
englober dans sa logique de fer, et l’homme qui possède la technique « sait
que, en dernière analyse, ce qui est en jeu dans la technique, ce n’est ni
l’utilité, ni le bien-être, mais la domination : une domination au sens le plus
extrême de ce terme ».[87]
Et c’est pourquoi « il cherche à saisir les éléments de la nature comme ceux de
l’existence humaine ».[88]
La capacité de décision, la liberté la plus authentique et l’espace pour une
créativité alternative des individus, sont réduits.
109. Le paradigme technocratique tend aussi à exercer
son emprise sur l’économie et la politique. L’économie assume tout le
développement technologique en fonction du profit, sans prêter attention à
d’éventuelles conséquences négatives pour l’être humain. Les finances étouffent
l’économie réelle. Les leçons de la crise financière mondiale n’ont pas été
retenues, et on prend en compte les leçons de la détérioration de
l’environnement avec beaucoup de lenteur. Dans certains cercles on soutient que
l’économie actuelle et la technologie résoudront tous les problèmes
environnementaux. De même on affirme, en langage peu académique, que les
problèmes de la faim et de la misère dans le monde auront une solution
simplement grâce à la croissance du marché. Ce n’est pas une question de
validité de théories économiques, que peut-être personne aujourd’hui n’ose
défendre, mais de leur installation de fait dans le développement de
l’économie. Ceux qui n’affirment pas cela en paroles le soutiennent dans les
faits quand une juste dimension de la production, une meilleure répartition des
richesses, une sauvegarde responsable de l’environnement et les droits des
générations futures ne semblent pas les préoccuper. Par leurs comportements,
ils indiquent que l’objectif de maximiser les bénéfices est suffisant. Mais le
marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l’inclusion
sociale.[89]
En attendant, nous avons un « surdéveloppement, où consommation et gaspillage
vont de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des situations
permanentes de misère déshumanisante » ;[90]
et les institutions économiques ainsi que les programmes sociaux qui
permettraient aux plus pauvres d’accéder régulièrement aux ressources de base
ne se mettent pas en place assez rapidement. On n’a pas encore fini de prendre
en compte les racines les plus profondes des dérèglements actuels qui sont en
rapport avec l’orientation, les fins, le sens et le contexte social de la
croissance technologique et économique.
110. La spécialisation de la technologie elle‑même
implique une grande difficulté pour regarder l’ensemble. La fragmentation des
savoirs sert dans la réalisation d’applications concrètes, mais elle amène en
général à perdre le sens de la totalité, des relations qui existent entre les
choses, d’un horizon large qui devient sans importance. Cela même empêche de
trouver des chemins adéquats pour résoudre les problèmes les plus complexes du
monde actuel, surtout ceux de l’environnement et des pauvres, qui ne peuvent
pas être abordés d’un seul regard ou selon un seul type d’intérêts. Une science
qui prétendrait offrir des solutions aux grandes questions devrait
nécessairement prendre en compte tout ce qu’a produit la connaissance dans les
autres domaines du savoir, y compris la philosophie et l’éthique sociale. Mais
c’est une habitude difficile à prendre aujourd’hui. C’est pourquoi de
véritables horizons éthiques de référence ne peuvent pas non plus être
reconnus. La vie est en train d’être abandonnée aux circonstances conditionnées
par la technique, comprise comme le principal moyen d’interpréter l’existence.
Dans la réalité concrète qui nous interpelle, divers symptômes apparaissent qui
montrent cette erreur, comme la dégradation de l’environnement, l’angoisse, la
perte du sens de la vie et de la cohabitation. On voit ainsi, une fois de plus,
que « la réalité est supérieure à l’idée ».[91]
111. La culture écologique ne peut pas se réduire à
une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train
d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement
des réserves naturelles et à la pollution. Elle devrait être un regard
différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et
une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du
paradigme technocratique. Autrement, même les meilleures initiatives
écologiques peuvent finir par s’enfermer dans la même logique globalisée.
Chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui
surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c’est
se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial.
112. Cependant, il est possible d’élargir de nouveau
le regard, et la liberté humaine est capable de limiter la technique, de
l’orienter, comme de la mettre au service d’un autre type de progrès, plus
sain, plus humain, plus social, plus intégral. La libération par rapport au
paradigme technocratique régnant a lieu, de fait, en certaines occasions, par
exemple, quand des communautés de petits producteurs optent pour des systèmes
de production moins polluants, en soutenant un mode de vie, de bonheur et de
cohabitation non consumériste ; ou bien quand la technique est orientée
prioritaire- ment pour résoudre les problèmes concrets des autres, avec la
passion de les aider à vivre avec plus de dignité et moins de souffrances ; de
même quand l’intention créatrice du beau et sa contemplation arrivent à dépasser
le pouvoir objectivant en une sorte de salut qui se réalise dans le beau et
dans la personne qui le contemple. L’authentique humanité, qui invite à une
nouvelle synthèse, semble habiter au milieu de la civilisation technologique
presque de manière imperceptible, comme le brouillard qui filtre sous une porte
close. Serait-ce une promesse permanente, malgré tout, jaillissant comme une
résistance obstinée de ce qui est authentique ?
113. D’autre part, les gens ne semblent plus croire en
un avenir heureux, ils ne mettent pas aveuglément leur confiance dans un
lendemain meilleur à partir des conditions actuelles du monde et des capacités
techniques. Ils prennent conscience que les avancées de la science et de la
technique ne sont pas équivalentes aux avancées de l’humanité et de l’histoire,
et ils perçoivent que les chemins fondamentaux sont autres pour un avenir
heureux. Cependant, ils ne s’imaginent pas pour autant renoncer aux
possibilités qu’offre la technologie. L’humanité s’est profondément transformée,
et l’accumulation des nouveautés continuelles consacre une fugacité qui nous
mène dans une seule direction, à la surface des choses. Il devient difficile de
nous arrêter pour retrouver la profondeur de la vie. S’il est vrai que
l’architecture reflète l’esprit d’une époque, les mégastructures et les maisons
en séries expriment l’esprit de la technique globalisée, où la nouveauté
permanente des produits s’unit à un pesant ennui. Ne nous résignons pas à cela,
et ne renonçons pas à nous interroger sur les fins et sur le sens de toute
chose. Autrement, nous légitimerions la situation actuelle et nous aurions
besoin de toujours plus de succédanés pour supporter le vide.
114. Ce qui arrive en ce moment nous met devant
l’urgence d’avancer dans une révolution culturelle courageuse. La science et la
technologie ne sont pas neutres, mais peuvent impliquer, du début à la fin d’un
processus, diverses intentions et possibilités, et elles peuvent se configurer
de différentes manières. Personne ne prétend vouloir retourner à l’époque des
cavernes, cependant il est indispensable de ralentir la marche pour regarder la
réalité d’une autre manière, recueillir les avancées positives et durables, et
en même temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été
détruites par une frénésie mégalomane.
III. CRISE ET CONSÉQUENCES
DE L’ANTHROPOCENTRISME MODERNE
DE L’ANTHROPOCENTRISME MODERNE
115. L’anthropocentrisme moderne, paradoxalement, a
fini par mettre la raison technique au-dessus de la réalité, parce que l’être
humain « n’a plus le sentiment ni que la nature soit une norme valable, ni
qu’elle lui offre un refuge vivant. Il la voit sans suppositions préalables,
objectivement, sous la forme d’un espace et d’une matière pour une œuvre où
l’on jette tout, peu importe ce qui en résultera ».[92]
De cette manière, la valeur que possède le monde en lui-même s’affaiblit. Mais
si l’être humain ne redécouvre pas sa véritable place, il ne se comprend pas
bien lui-même et finit par contredire sa propre réalité : « Non seulement la
terre a été donnée par Dieu à l’homme, qui doit en faire usage dans le respect
de l’intention primitive, bonne, dans laquelle elle a été donnée, mais l’homme,
lui aussi, est donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure
naturelle et morale dont il a été doté».[93]
116. Dans la modernité, il y a eu une grande démesure
anthropocentrique qui, sous d’autres formes, continue aujourd’hui à nuire à
toute référence commune et à toute tentative pour renforcer les liens sociaux.
C’est pourquoi, le moment est venu de prêter de nouveau attention à la réalité
avec les limites qu’elle impose, et qui offrent à leur tour la possibilité d’un
développement humain et social plus sain et plus fécond. Une présentation
inadéquate de l’anthropologie chrétienne a pu conduire à soutenir une
conception erronée de la relation entre l’être humain et le monde. Un rêve
prométhéen de domination sur le monde s’est souvent transmis, qui a donné
l’impression que la sauvegarde de la nature est pour les faibles. La façon
correcte d’interpréter le concept d’être humain comme “seigneur” de l’univers
est plutôt celle de le considérer comme administrateur responsable.[94]
117. Le manque de préoccupation pour mesurer les
préjudices causés à la nature et l’impact environnemental des décisions est
seulement le reflet le plus visible d’un désintérêt pour reconnaître le message
que la nature porte inscrit dans ses structures mêmes. Quand on ne reconnaît
pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une
personne vivant une situation de handicap – pour prendre seulement quelques
exemples – on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est
lié. Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se
pose en dominateur absolu, la base même de son existence s’écroule, parce qu’«
au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la
création, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte
de la nature ».[95]
118. Cette situation nous conduit à une schizophrénie
permanente, qui va de l’exaltation technocratique qui ne reconnaît pas aux
autres êtres une valeur propre, à la réaction qui nie toute valeur particulière
à l’être humain. Mais on ne peut pas faire abstraction de l’humanité. Il n’y
aura pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau. Il
n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate. Quand la personne humaine est
considérée seulement comme un être parmi d’autres, qui procéderait des jeux du
hasard ou d’un déterminisme physique, « la conscience de sa responsabilité
risque de s’atténuer dans les esprits ».[96]
Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un
“bio-centrisme”, parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau
déséquilibre qui, non seulement ne résoudrait pas les problèmes mais en
ajouterait d’autres. On ne peut pas exiger de l’être humain un engagement
respectueux envers le monde si on ne reconnaît pas et ne valorise pas en même
temps ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de
responsabilité.
119. La critique de l’anthropocentrisme dévié ne
devrait pas non plus faire passer au second plan la valeur des relations entre
les personnes. Si la crise écologique est l’éclosion ou une manifestation
extérieure de la crise éthique, culturelle et spirituelle de la modernité, nous
ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature et à
l’environnement sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être
humain. Quand la pensée chrétienne revendique une valeur particulière pour
l’être humain supérieure à celle des autres créatures, cela donne lieu à une
valorisation de chaque personne humaine, et entraîne la reconnaissance de
l’autre. L’ouverture à un “ tu ” capable de connaître, d’aimer, et de dialoguer
continue d’être la grande noblesse de la personne humaine. C’est pourquoi, pour
une relation convenable avec le monde créé, il n’est pas nécessaire d’affaiblir
la dimension sociale de l’être humain ni sa dimension transcendante, son
ouverture au “ Tu ” divin. En effet, on ne peut pas envisager une relation avec
l’environnement isolée de la relation avec les autres personnes et avec Dieu.
Ce serait un individualisme romantique, déguisé en beauté écologique, et un
enfermement asphyxiant dans l’immanence.
120. Puisque tout est lié, la défense de la nature
n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement. Un chemin
éducatif pour accueillir les personnes faibles de notre entourage, qui parfois
dérangent et sont inopportunes, ne semble pas praticable si l’on ne protège pas
l’embryon humain, même si sa venue cause de la gêne et des difficultés : « Si
la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd,
alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent ».[97]
121. Le développement d’une nouvelle synthèse qui
dépasse les fausses dialectiques des derniers siècles reste en suspens. Le
christianisme lui-même, en se maintenant fidèle à son identité et au trésor de
vérité qu’il a reçu de Jésus-Christ, se repense toujours et se réexprime dans
le dialogue avec les nouvelles situations historiques, laissant apparaître
ainsi son éternelle nouveauté.[98]
Le relativisme pratique
122. Un anthropocentrisme dévié donne lieu à un style
de vie dévié. Dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, j’ai
fait référence au relativisme pratique qui caractérise notre époque, et qui est
« encore plus dangereux que le relativisme doctrinal».[99]
Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité
absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif. Par
conséquent, il n’est pas étonnant que, avec l’omniprésence du paradigme
technocratique et le culte du pouvoir humain sans limites, se développe chez
les personnes ce relativisme dans lequel tout ce qui ne sert pas aux intérêts
personnels immédiats est privé d’importance. Il y a en cela une logique qui
permet de comprendre comment certaines attitudes, qui provoquent en même temps
la dégradation de l’environnement et la dégradation sociale, s’alimentent
mutuellement.
123. La culture du relativisme est la même pathologie
qui pousse une personne à exploiter son prochain et à le traiter comme un pur
objet, l’obligeant aux travaux forcés, ou en faisant de lui un esclave à cause
d’une dette. C’est la même logique qui pousse à l’exploitation sexuelle des
enfants ou à l’abandon des personnes âgées qui ne servent pas des intérêts
personnels. C’est aussi la logique intérieure de celui qui dit : ‛Laissons les
forces invisibles du marché réguler l’économie, parce que ses impacts sur la
société et sur la nature sont des dommages inévitables’. S’il n’existe pas de
vérités objectives ni de principes solides hors de la réalisation de projets
personnels et de la satisfaction de nécessités immédiates, quelles limites
peuvent alors avoir la traite des êtres humains, la criminalité organisée, le
narcotrafic, le commerce de diamants ensanglantés et de peaux d’animaux en voie
d’extinction ? N’est-ce pas la même logique relativiste qui justifie l’achat
d’organes des pauvres dans le but de les vendre ou de les utiliser pour
l’expérimentation, ou le rejet d’enfants parce qu’ils ne répondent pas au désir
de leurs parents ? C’est la même logique du “utilise et jette”, qui engendre
tant de résidus, seulement à cause du désir désordonné de consommer plus qu’il
n’est réellement nécessaire. Par conséquent, nous ne pouvons pas penser que les
projets politiques et la force de la loi seront suffisants pour que soient évités
les comportements qui affectent l’environnement, car, lorsque la culture se
corrompt et qu’on ne reconnaît plus aucune vérité objective ni de principes
universellement valables, les lois sont comprises uniquement comme des
impositions arbitraires et comme des obstacles à contourner.
La nécessité de préserver le travail
124. Dans n’importe quelle approche d’une écologie
intégrale qui n’exclue pas l’être humain, il est indispensable d’incorporer la
valeur du travail, développée avec grande sagesse par saint Jean-Paul II dans
son Encyclique Laborem exercens. Rappelons que, selon le récit biblique
de la création, Dieu a placé l’être humain dans le jardin à peine créé (cf. Gn
2, 15) non seulement pour préserver ce qui existe (protéger) mais aussi
pour le travailler de manière à ce qu’il porte du fruit (labourer). Ainsi, les
ouvriers et les artisans « assurent une création éternelle » (Si 38,
34). En réalité, l’intervention humaine qui vise le développement prudent du
créé est la forme la plus adéquate d’en prendre soin, parce qu’elle implique de
se considérer comme instrument de Dieu pour aider à faire apparaître les
potentialités qu’il a lui-même mises dans les choses : « Le Seigneur a créé les
plantes médicinales, l’homme avisé ne les méprise pas » (Si 38, 4).
125. Si nous essayons de considérer quelles sont les
relations adéquates de l’être humain avec le monde qui l’entoure, la nécessité
d’une conception correcte du travail émerge, car si nous parlons de la relation
de l’être humain avec les choses, la question du sens et de la finalité de
l’action humaine sur la réalité apparaît. Nous ne parlons pas seulement du
travail manuel ou du travail de la terre, mais de toute activité qui implique
quelque transformation de ce qui existe, depuis l’élaboration d’une étude
sociale jusqu’au projet de développement technologique. N’importe quelle forme
de travail suppose une conception d’une relation que l’être humain peut ou doit
établir avec son semblable. La spiritualité chrétienne, avec l’admiration
contemplative des créatures que nous trouvons chez saint François d’Assise, a
développé aussi une riche et saine compréhension du travail, comme nous pouvons
le voir, par exemple, dans la vie du bienheureux Charles de Foucauld et de ses
disciples.
126. Recueillons aussi quelque chose de la longue
tradition du monachisme. Au commencement, il favorisait, d’une certaine
manière, la fuite du monde, essayant d’échapper à la décadence urbaine. Voilà
pourquoi les moines cherchaient le désert, convaincus que c’était le lieu
propice pour reconnaître la présence de Dieu. Plus tard, saint Benoît de Nurcie
a proposé que ses moines vivent en communauté, alliant la prière et la lecture
au travail manuel (“Ora et labora’’). Cette introduction du travail
manuel, imprégné de sens spirituel, était révolutionnaire. On a appris à
chercher la maturation et la sanctification dans la compénétration du
recueillement et du travail. Cette manière de vivre le travail nous rend plus
attentifs et plus respectueux de l’environnement, elle imprègne de saine sobriété
notre relation au monde.
127. Nous disons que « l’homme est l’auteur, le centre
et le but de toute la vie économico-sociale».[100]
Malgré cela, quand la capacité de contempler et de respecter est détériorée
chez l’être humain, les conditions sont créées pour que le sens du travail soit
défiguré.[101]
Il faut toujours se rappeler que l’être humain est « capable d’être lui-même
l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral, et de son
épanouissement spirituel».[102]
Le travail devrait être le lieu de ce développement personnel multiple où plusieurs
dimensions de la vie sont en jeu : la créativité, la projection vers l’avenir,
le développement des capacités, la mise en pratique de valeurs, la
communication avec les autres, une attitude d’adoration. C’est pourquoi, dans
la réalité sociale mondiale actuelle, au-delà des intérêts limités des
entreprises et d’une rationalité économique discutable, il est nécessaire que «
l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail...pour
tous».[103]
128. Nous sommes appelés au travail dès notre
création. On ne doit pas chercher à ce que le progrès technologique remplace de
plus en plus le travail humain, car ainsi l’humanité se dégraderait elle-même.
Le travail est une nécessité, il fait partie du sens de la vie sur cette terre,
chemin de maturation, de développement humain et de réalisation personnelle.
Dans ce sens, aider les pauvres avec de l’argent doit toujours être une
solution provisoire pour affronter des urgences. Le grand objectif devrait
toujours être de leur permettre d’avoir une vie digne par le travail. Mais
l’orientation de l’économie a favorisé une sorte d’avancée technologique pour
réduire les coûts de production par la diminution des postes de travail qui
sont remplacés par des machines. C’est une illustration de plus de la façon
dont l’action de l’être humain peut se retourner contre lui-même. La diminution
des postes de travail « a aussi un impact négatif sur le plan économique à
travers l’érosion progressive du “capital social”, c’est-à-dire de cet ensemble
de relations de confiance, de fiabilité, de respect des règles indispensables à
toute coexistence civile ».[104]
En définitive, « les coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques,
et les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des coûts humains ».[105]
Cesser d’investir dans les personnes pour obtenir plus de profit immédiat est
une très mauvaise affaire pour la société.
129. Pour qu’il continue d’être possible de donner du
travail, il est impérieux de promouvoir une économie qui favorise la diversité
productive et la créativité entrepreneuriale. Par exemple, il y a une grande
variété de systèmes alimentaires ruraux de petites dimensions qui continuent à
alimenter la plus grande partie de la population mondiale, en utilisant une
faible proportion du territoire et de l’eau, et en produisant peu de déchets,
que ce soit sur de petites parcelles agricoles, vergers, ou grâce à la chasse,
à la cueillette et la pêche artisanale, entre autres. Les économies d’échelle,
spécialement dans le secteur agricole, finissent par forcer les petits
agriculteurs à vendre leurs terres ou à abandonner leurs cultures
traditionnelles. Les tentatives de certains pour développer d’autres formes de
production plus diversifiées, finissent par être vaines en raison des
difficultés pour entrer sur les marchés régionaux et globaux, ou parce que l’infrastructure
de vente et de transport est au service des grandes entreprises. Les autorités
ont le droit et la responsabilité de prendre des mesures de soutien clair et
ferme aux petits producteurs et à la variété de la production. Pour qu’il y ait
une liberté économique dont tous puissent effectivement bénéficier, il peut
parfois être nécessaire de mettre des limites à ceux qui ont plus de moyens et
de pouvoir financier. Une liberté économique seulement déclamée, tandis que les
conditions réelles empêchent beaucoup de pouvoir y accéder concrètement
et que l’accès au travail se détériore, devient un discours contradictoire qui
déshonore la politique. L’activité d’entreprise, qui est une vocation noble
orientée à produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous, peut être
une manière très féconde de promouvoir la région où elle installe ses projets ;
surtout si on comprend que la création de postes de travail est une partie
incontournable de son service du bien commun.
L’innovation biologique à partir de la recherche
130. Dans la vision philosophique et théologique de la
création que j’ai cherché à proposer, il reste clair que la personne humaine,
avec la particularité de sa raison et de sa science, n’est pas un facteur
extérieur qui doit être totalement exclu. Cependant, même si l’être humain peut
intervenir sur le monde végétal et animal et en faire usage quand c’est
nécessaire pour sa vie, le Catéchisme enseigne que les expérimentations
sur les animaux sont légitimes seulement « si elles restent dans des limites
raisonnables et contribuent à soigner ou sauver des vies humaines ».[106]
Il rappelle avec fermeté que le pouvoir de l’homme a des limites et qu’« il est
contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de
gaspiller leurs vies ».[107]
Toute utilisation ou expérimentation « exige un respect religieux de
l’intégrité de la création ».[108]
131. Je veux recueillir ici la position équilibrée de
saint Jean-Paul II, mettant en évidence les bienfaits des progrès scientifiques
et technologiques, qui « manifestent la noblesse de la vocation de l’homme à
participer de manière responsable à l’action créatrice de Dieu dans le monde ».
Mais en même temps il rappelait qu’« aucune intervention dans un domaine de
l’écosystème ne peut se dispenser de prendre en considération ses conséquences
dans d’autres domaines ».[109]
Il soulignait que l’Église valorise l’apport de « l’étude et des applications
de la biologie moléculaire, complétée par d’autres disciplines, comme la
génétique et son application technologique dans l’agriculture et dans
l’industrie »[110],
même s’il affirme aussi que cela ne doit pas donner lieu à une « manipulation
génétique menée sans discernement »[111]
qui ignore les effets négatifs de ces interventions. Il n’est pas possible de
freiner la créativité humaine. Si on ne peut interdire à un artiste de déployer
sa capacité créatrice, on ne peut pas non plus inhiber ceux qui ont des dons
spéciaux pour le développement scientifique et technologique, dont les
capacités ont été données par Dieu pour le service des autres. En même temps,
on ne peut pas cesser de préciser toujours davantage les objectifs, les effets,
le contexte et les limites éthiques de cette activité humaine qui est une forme
de pouvoir comportant de hauts risques.
132. C’est dans ce cadre que devrait se situer toute
réflexion autour de l’intervention humaine sur les végétaux et les animaux qui
implique aujourd’hui des mutations génétiques générées par la biotechnologie,
dans le but d’exploiter les possibilités présentes dans la réalité matérielle.
Le respect de la foi envers la raison demande de prêter attention à ce que la
science biologique elle-même, développée de manière indépendante par rapport
aux intérêts économiques, peut enseigner sur les structures biologiques ainsi
que sur leurs possibilités et leurs mutations. Quoiqu’il en soit,
l’intervention légitime est celle qui agit sur la nature « pour l’aider à
s’épanouir dans sa ligne, celle de la création, celle voulue par Dieu ».[112]
133. Il est difficile d’émettre un jugement général
sur les développements de transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à des fins
médicales ou agro-pastorales, puisqu’ils peuvent être très divers entre eux et
nécessiter des considérations différentes. D’autre part, les risques ne sont
pas toujours dus à la technique en soi, mais à son application inadaptée ou
excessive. En réalité, les mutations génétiques ont été, et sont très souvent,
produites par la nature elle-même. Même celles provoquées par l’intervention
humaine ne sont pas un phénomène moderne. La domestication des animaux, le
croisement des espèces et autres pratiques anciennes et universellement
acceptées peuvent entrer dans ces considérations. Il faut rappeler que le début
des développements scientifiques de céréales transgéniques a été l’observation
d’une bactérie qui produit naturellement et spontanément une modification du
génome d’un végétal. Mais dans la nature, ces processus ont un rythme lent qui
n’est pas comparable à la rapidité qu’imposent les progrès technologiques
actuels, même quand ces avancées font suite à un développement scientifique de
plusieurs siècles.
134. Même en l’absence de preuves irréfutables du
préjudice que pourraient causer les céréales transgéniques aux êtres humains,
et même si, dans certaines régions, leur utilisation est à l’origine d’une
croissance économique qui a aidé à résoudre des problèmes, il y a des
difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées. En de nombreux
endroits, suite à l’introduction de ces cultures, on constate une concentration
des terres productives entre les mains d’un petit nombre, due à « la
disparition progressive des petits producteurs, qui, en conséquence de la perte
de terres exploitables, se sont vus obligés de se retirer de la production
directe».[113]
Les plus fragiles deviennent des travailleurs précaires, et beaucoup d’employés
ruraux finissent par migrer dans de misérables implantations urbaines.
L’extension de la surface de ces cultures détruit le réseau complexe des
écosystèmes, diminue la diversité productive, et compromet le présent ainsi que
l’avenir des économies régionales. Dans plusieurs pays, on perçoit une tendance
au développement des oligopoles dans la production de grains et d’autres
produits nécessaires à leur culture, et la dépendance s’aggrave encore avec la
production de grains stériles qui finirait par obliger les paysans à en acheter
aux entreprises productrices.
135. Sans doute, une attention constante, qui porte à
considérer tous les aspects éthiques concernés, est nécessaire. Pour cela, il
faut garantir une discussion scientifique et sociale qui soit responsable et
large, capable de prendre en compte toute l’information disponible et d’appeler
les choses par leur nom. Parfois, on ne met pas à disposition toute
l’information, qui est sélectionnée selon les intérêts particuliers, qu’ils
soient politiques, économiques ou idéologiques. De ce fait, il devient
difficile d’avoir un jugement équilibré et prudent sur les diverses questions,
en prenant en compte tous les paramètres pertinents. Il est nécessaire d’avoir
des espaces de discussion où tous ceux qui, de quelque manière, pourraient être
directement ou indirectement concernés (agriculteurs, consommateurs, autorités,
scientifiques, producteurs de semences, populations voisines des champs
traités, et autres) puissent exposer leurs problématiques ou accéder à l’information
complète et fiable pour prendre des décisions en faveur du bien commun présent
et futur. Il s’agit d’une question d’environnement complexe dont le traitement
exige un regard intégral sous tous ses aspects, et cela requiert au moins un
plus grand effort pour financer les diverses lignes de recherche, autonomes et
interdisciplinaires, en mesure d’apporter une lumière nouvelle.
136. D’autre part, il est préoccupant que certains
mouvements écologistes qui défendent l’intégrité de l’environnement et exigent
avec raison certaines limites à la recherche scientifique, n’appliquent pas
parfois ces mêmes principes à la vie humaine. En général, on justifie le
dépassement de toutes les limites quand on fait des expérimentations sur les
embryons humains vivants. On oublie que la valeur inaliénable de l’être humain
va bien au-delà de son degré de développement. Du reste, quand la technique
ignore les grands principes éthiques, elle finit par considérer comme légitime
n’importe quelle pratique. Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la technique
séparée de l’éthique sera difficilement capable d’autolimiter son propre
pouvoir.
QUATRIEME CHAPITRE
UNE ECOLOGIE INTEGRALE
137. Étant donné que tout est intimement lié, et que
les problèmes actuels requièrent un regard qui tienne compte de tous les
aspects de la crise mondiale, je propose à présent que nous nous arrêtions pour
penser aux diverses composantes d’une écologie intégrale, qui a
clairement des dimensions humaines et sociales.
I. L’ÉCOLOGIE ENVIRONNEMENTALE, ÉCONOMIQUE
ET SOCIALE
ET SOCIALE
138. L’écologie étudie les relations entre les
organismes vivants et l’environnement où ceux-ci se développent. Cela demande
de s’asseoir pour penser et pour discuter avec honnêteté des conditions de vie
et de survie d’une société, pour remettre en question les modèles de
développement, de production et de consommation. Il n’est pas superflu
d’insister sur le fait que tout est lié. Le temps et l’espace ne sont pas
indépendants l’un de l’autre, et même les atomes ou les particules sous-atomiques
ne peuvent être considérés séparément. Tout comme les différentes composantes
de la planète – physiques, chimiques et biologiques – sont reliées entre elles,
de même les espèces vivantes constituent un réseau que nous n’avons pas encore
fini d’identifier et de comprendre. Une bonne partie de notre information
génétique est partagée par beaucoup d’êtres vivants. Voilà pourquoi les
connaissances fragmentaires et isolées peuvent devenir une forme d’ignorance si
elles refusent de s’intégrer dans une plus ample vision de la réalité.
139. Quand on parle d’“environnement”, on désigne en
particulier une relation, celle qui existe entre la nature et la société qui
l’habite. Cela nous empêche de concevoir la nature comme séparée de nous ou
comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes
une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle. Les raisons pour lesquelles
un endroit est pollué exigent une analyse du fonctionnement de la société, de
son économie, de son comportement, de ses manières de comprendre la réalité.
Étant donné l’ampleur des changements, il n’est plus possible de trouver une
réponse spécifique et indépendante à chaque partie du problème. Il est
fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les
interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il
n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais
une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de
solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour
rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature.
140. À cause de la quantité et de la variété des
éléments à prendre en compte, il devient indispensable, au moment de déterminer
l’impact d’une initiative concrète sur l’environnement, de donner aux
chercheurs un rôle prépondérant et de faciliter leur interaction, dans une
grande liberté académique. Ces recherches constantes devraient permettre de
reconnaître aussi comment les différentes créatures sont liées et constituent
ces unités plus grandes qu’aujourd’hui nous nommons “écosystèmes”. Nous ne les
prenons pas en compte seulement pour déterminer quelle est leur utilisation
rationnelle, mais en raison de leur valeur intrinsèque indépendante de cette
utilisation. Tout comme chaque organisme est bon et admirable, en soi, parce
qu’il est une créature de Dieu, il en est de même de l’ensemble harmonieux
d’organismes dans un espace déterminé, fonctionnant comme un système. Bien que
nous n’en ayons pas conscience, nous dépendons de cet ensemble pour notre
propre existence. Il faut rappeler que les écosystèmes interviennent dans la
capture du dioxyde de carbone, dans la purification de l’eau, dans le contrôle
des maladies et des épidémies, dans la formation du sol, dans la décomposition
des déchets, et dans beaucoup d’autres services que nous oublions ou ignorons.
Beaucoup de personnes, remarquant cela, recommencent à prendre conscience du
fait que nous vivons et agissons à partir d’une réalité qui nous a été offerte
au préalable, qui est antérieure à nos capacités et à notre existence. Voilà
pourquoi, quand on parle d’une “utilisation durable”, il faut toujours y
inclure la capacité de régénération de chaque écosystème dans ses divers domaines
et aspects.
141. Par ailleurs, la croissance économique tend à
produire des automatismes et à homogénéiser, en vue de simplifier les
procédures et de réduire les coûts. C’est pourquoi une écologie économique est
nécessaire, capable d’obliger à considérer la réalité de manière plus ample. En
effet, « la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du
processus de développement et ne peut être considérée isolément».[114]
Mais en même temps, devient actuelle la nécessité impérieuse de l’humanisme
qui, en soi, fait appel aux différents savoirs, y compris à la science
économique, pour un regard plus intégral et plus intégrant. Aujourd’hui
l’analyse des problèmes environnementaux est inséparable de l’analyse des
contextes humains, familiaux, de travail, urbains, et de la relation de chaque
personne avec elle-même qui génère une façon déterminée d’entrer en rapport
avec les autres et avec l’environnement. Il y a une interaction entre les
écosystèmes et entre les divers mondes de référence sociale, et ainsi, une fois
de plus, il s’avère que « le tout est supérieur à la partie ».[115]
142. Si tout est lié, l’état des institutions d’une
société a aussi des conséquences sur l’environnement et sur la qualité de vie
humaine : « Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des
dommages à l’environnement ».[116]
Dans ce sens, l’écologie sociale est nécessairement institutionnelle et atteint
progressivement les différentes dimensions qui vont du groupe social primaire,
la famille, en passant par la communauté locale et la Nation, jusqu’à la vie
internationale. À l’intérieur de chacun des niveaux sociaux et entre eux, se
développent les institutions qui régulent les relations humaines. Tout ce qui
leur porte préjudice a des effets nocifs, comme la perte de la liberté,
l’injustice et la violence. Divers pays s’alignent sur un niveau institutionnel
précaire, au prix de la souffrance des populations et au bénéfice de ceux qui
tirent profit de cet état des choses. Tant dans l’administration de l’État que
dans les diverses expressions de la société civile, ou dans les relations entre
citoyens, on constate très souvent des conduites éloignées des lois. Celles-ci
peuvent être correctement écrites, mais restent ordinairement lettre morte.
Peut-on alors espérer que la législation et les normes relatives à l’environnement
soient réellement efficaces ? Nous savons, par exemple, que des pays dotés
d’une législation claire pour la protection des forêts continuent d’être des
témoins muets de la violation fréquente de ces lois. En outre, ce qui se passe
dans une région exerce, directement ou indirectement, des influences sur les
autres régions. Ainsi, par exemple, la consommation de narcotiques dans les
sociétés opulentes provoque une demande constante ou croissante de ces produits
provenant de régions appauvries, où les conduites se corrompent, des vies sont
détruites et où l’environnement finit par se dégrader.
II. L’ÉCOLOGIE CULTURELLE
143. Il y a, avec le patrimoine naturel, un patrimoine
historique, artistique et culturel, également menacé. Il fait partie de
l’identité commune d’un lieu et il est une base pour construire une ville
habitable. Il ne s’agit pas de détruire, ni de créer de nouvelles villes
soi-disant plus écologiques, où il ne fait pas toujours bon vivre. Il faut
prendre en compte l’histoire, la culture et l’architecture d’un lieu, en
maintenant son identité originale. Voilà pourquoi l’écologie suppose aussi la
préservation des richesses culturelles de l’humanité au sens le plus large du
terme. D’une manière plus directe, elle exige qu’on fasse attention aux cultures
locales, lorsqu’on analyse les questions en rapport avec l’environnement, en
faisant dialoguer le langage scientifique et technique avec le langage
populaire. C’est la culture, non seulement dans le sens des monuments du passé
mais surtout dans son sens vivant, dynamique et participatif, qui ne peut pas
être exclue lorsqu’on repense la relation de l’être humain avec
l’environnement.
144. La vision consumériste de l’être humain,
encouragée par les engrenages de l’économie globalisée actuelle, tend à homogénéiser
les cultures et à affaiblir l’immense variété culturelle, qui est un trésor de
l’humanité. C’est pourquoi prétendre résoudre toutes les difficultés à travers
des réglementations uniformes ou des interventions techniques, conduit à
négliger la complexité des problématiques locales qui requièrent l’intervention
active des citoyens. Les nouveaux processus en cours ne peuvent pas toujours
être incorporés dans des schémas établis de l’extérieur, mais ils doivent
partir de la culture locale elle-même. Comme la vie et le monde sont
dynamiques, la préservation du monde doit être flexible et dynamique. Les
solutions purement techniques courent le risque de s’occuper des symptômes qui
ne répondent pas aux problématiques les plus profondes. Il faut y inclure la
perspective des droits des peuples et des cultures, et comprendre ainsi que le
développement d’un groupe social suppose un processus historique dans un
contexte culturel, et requiert de la part des acteurs sociaux locaux un
engagement constant en première ligne, à partir de leur propre culture.
Même la notion de qualité de vie ne peut être imposée, mais elle doit se
concevoir à l’intérieur du monde des symboles et des habitudes propres à chaque
groupe humain.
145. Beaucoup de formes hautement concentrées
d’exploitation et de dégradation de l’environnement peuvent non seulement
épuiser les ressources de subsistance locales, mais épuiser aussi les capacités
sociales qui ont permis un mode de vie ayant donné, pendant longtemps, une
identité culturelle ainsi qu’un sens de l’existence et de la cohabitation. La
disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la
disparition d’une espèce animale ou végétale. L’imposition d’un style de vie
hégémonique lié à un mode de production peut être autant nuisible que
l’altération des écosystèmes.
146. Dans ce sens, il est indispensable d’accorder une
attention spéciale aux communautés aborigènes et à leurs traditions
culturelles. Elles ne constituent pas une simple minorité parmi d’autres, mais
elles doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on
développe les grands projets qui affectent leurs espaces. En effet, la terre
n’est pas pour ces communautés un bien économique, mais un don de Dieu et des
ancêtres qui y reposent, un espace sacré avec lequel elles ont besoin
d’interagir pour soutenir leur identité et leurs valeurs. Quand elles restent
sur leurs territoires, ce sont précisément elles qui les préservent le mieux.
Cependant, en diverses parties du monde, elles font l’objet de pressions pour
abandonner leurs terres afin de les laisser libres pour des projets
d’extraction ainsi que pour des projets agricoles et de la pêche, qui ne
prêtent pas attention à la dégradation de la nature et de la culture.
III. L’ÉCOLOGIE DE LA VIE QUOTIDIENNE
147. Pour parler d’un authentique développement il
faut s’assurer qu’une amélioration intégrale dans la qualité de vie humaine se
réalise ; et cela implique d’analyser l’espace où vivent les personnes. Le
cadre qui nous entoure influe sur notre manière de voir la vie, de sentir et
d’agir. En même temps, dans notre chambre, dans notre maison, sur notre lieu de
travail et dans notre quartier, nous utilisons l’environnement pour exprimer
notre identité. Nous nous efforçons de nous adapter au milieu, et quand un
environnement est désordonné, chaotique ou chargé de pollution visuelle et
auditive, l’excès de stimulations nous met au défi d’essayer de construire une
identité intégrée et heureuse.
148. La créativité et la générosité sont admirables de
la part de personnes comme de groupes qui sont capables de transcender les
limites de l’environnement, en modifiant les effets négatifs des
conditionnements et en apprenant à orienter leur vie au milieu du désordre et
de la précarité. Par exemple, dans certains endroits où les façades des
édifices sont très abîmées, il y a des personnes qui, avec beaucoup de dignité,
prennent soin de l’intérieur de leurs logements, ou bien qui se sentent à
l’aise en raison de la cordialité et de l’amitié des gens. La vie sociale
positive et bénéfique des habitants répand une lumière sur un environnement
apparemment défavorable. Parfois, l’écologie humaine, que les pauvres peuvent
développer au milieu de tant de limitations, est louable. La sensation
d’asphyxie, produite par l’entassement dans des résidences et dans des espaces
à haute densité de population, est contrebalancée si des relations humaines
d’un voisinage convivial sont développées, si des communautés sont créées, si
les limites de l’environnement sont compensées dans chaque personne qui se sent
incluse dans un réseau de communion et d’appartenance. De cette façon,
n’importe quel endroit cesse d’être un enfer et devient le cadre d’une vie
digne.
149. Il est aussi clair que l’extrême pénurie que l’on
vit dans certains milieux qui manquent d’harmonie, d’espace et de possibilités
d’intégration, facilite l’apparition de comportements inhumains et la
manipulation des personnes par des organisations criminelles. Pour les
habitants des quartiers très pauvres, le passage quotidien de l’entassement à
l’anonymat social, qui se vit dans les grandes villes, peut provoquer une
sensation de déracinement qui favorise les conduites antisociales et la
violence. Cependant, je veux insister sur le fait que l’amour est plus fort.
Dans ces conditions, beaucoup de personnes sont capables de tisser des liens
d’appartenance et de cohabitation, qui transforment l’entassement en expérience
communautaire où les murs du moi sont rompus et les barrières de l’égoïsme
dépassées. C’est cette expérience de salut communautaire qui ordinairement
suscite de la créativité pour améliorer un édifice ou un quartier.[117]
150. Étant donné la corrélation entre l’espace et la
conduite humaine, ceux qui conçoivent des édifices, des quartiers, des espaces
publics et des villes, ont besoin de l’apport de diverses disciplines qui
permettent de comprendre les processus, le symbolisme et les comportements des
personnes. La recherche de la beauté de la conception ne suffit pas, parce
qu’il est plus précieux encore de servir un autre type de beauté : la qualité
de vie des personnes, leur adaptation à l’environnement, la rencontre et l’aide
mutuelle. Voilà aussi pourquoi il est si important que les perspectives des
citoyens complètent toujours l’analyse de la planification urbaine.
151. Il faut prendre soin des lieux publics, du cadre
visuel et des signalisations urbaines qui accroissent notre sens
d’appartenance, notre sensation d’enracinement, notre sentiment d’“être à la
maison”, dans la ville qui nous héberge et nous unit. Il est important que les
différentes parties d’une ville soient bien intégrées et que les habitants
puissent avoir une vision d’ensemble, au lieu de s’enfermer dans un quartier en
se privant de vivre la ville tout entière comme un espace vraiment partagé avec
les autres. Toute intervention dans le paysage urbain ou rural devrait
considérer que les différents éléments d’un lieu forment un tout perçu par les
habitants comme un cadre cohérent avec sa richesse de sens. Ainsi les autres
cessent d’être des étrangers, et peuvent se sentir comme faisant partie d’un
“nous” que nous construisons ensemble. Pour la même raison, tant dans
l’environnement urbain que dans l’environnement rural, il convient de préserver
certains lieux où sont évitées les interventions humaines qui les modifient
constamment.
152. Le manque de logements est grave dans de
nombreuses parties du monde, tant dans les zones rurales que dans les grandes
villes, parce que souvent les budgets étatiques couvrent seulement une petite
partie de la demande. Non seulement les pauvres, mais aussi une grande partie
de la société rencontrent de sérieuses difficultés pour accéder à son propre
logement. La possession d’un logement est très étroitement liée à la dignité
des personnes et au développement des familles. C’est une question centrale de
l’écologie humaine. Si déjà des agglomérations chaotiques de maisons précaires se
sont développées dans un lieu, il s’agit surtout d’urbaniser ces quartiers, non
d’éradiquer et d’expulser. Quand les pauvres vivent dans des banlieues polluées
ou dans des agglomérations dangereuses, « si l’on doit procéder à leur
déménagement [...], pour ne pas ajouter la souffrance à la souffrance, il est
nécessaire de fournir une information adéquate et préalable, d’offrir des
alternatives de logements dignes et d’impliquer directement les intéressés ».[118]
En même temps, la créativité devrait amener à intégrer les quartiers précaires
dans une ville accueillante : « Comme elles sont belles les villes qui dépassent
la méfiance malsaine et intègrent ceux qui sont différents, et qui font de
cette intégration un nouveau facteur de développement ! Comme elles sont belles
les villes qui, même dans leur architecture, sont remplies d’espaces qui
regroupent, mettent en relation et favorisent la reconnaissance de l’autre ! ».[119]
153. La qualité de vie dans les villes est étroitement
liée au transport, qui est souvent une cause de grandes souffrances pour les
habitants. Dans les villes, circulent beaucoup d’automobiles utilisées
seulement par une ou deux personnes, raison pour laquelle la circulation
devient difficile, le niveau de pollution élevé, d’énormes quantités d’énergie
non renouvelable sont consommées et la construction d’autoroutes
supplémentaires se révèle nécessaire ainsi que des lieux de stationnement qui
nuisent au tissu urbain. Beaucoup de spécialistes sont unanimes sur la
nécessité d’accorder la priorité au transport public. Mais certaines mesures
nécessaires seront à grand-peine acceptées pacifiquement par la société sans
des améliorations substantielles de ce transport, qui, dans beaucoup de villes,
est synonyme de traitement indigne infligé aux personnes à cause de
l’entassement, de désagréments ou de la faible fréquence des services et de
l’insécurité.
154. La reconnaissance de la dignité particulière de
l’être humain contraste bien des fois avec la vie chaotique que les personnes
doivent mener dans nos villes. Mais cela ne devrait pas détourner l’attention
de l’état d’abandon et d’oubli dont souffrent aussi certains habitants des
zones rurales, où les services essentiels n’arrivent pas, et où se trouvent des
travailleurs réduits à des situations d’esclavage, sans droits ni perspectives
d’une vie plus digne.
155. L’écologie humaine implique aussi quelque chose
de très profond : la relation de la vie de l’être humain avec la loi morale
inscrite dans sa propre nature, relation nécessaire pour pouvoir créer un
environnement plus digne. Benoît XVI affirmait qu’il existe une “écologie de
l’homme” parce que « l’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et
qu’il ne peut manipuler à volonté ».[120]
Dans ce sens, il faut reconnaître que notre propre corps nous met en relation
directe avec l’environnement et avec les autres êtres vivants. L’acceptation de
son propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour accueillir et pour
accepter le monde tout entier comme don du Père et maison commune ; tandis
qu’une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois
subtile, de domination sur la création. Apprendre à recevoir son propre corps,
à en prendre soin et à en respecter les significations, est essentiel pour une
vraie écologie humaine. La valorisation de son propre corps dans sa féminité ou
dans sa masculinité est aussi nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même
dans la rencontre avec celui qui est différent. De cette manière, il est
possible d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre, homme ou femme,
œuvre du Dieu créateur, et de s’enrichir réciproquement. Par conséquent,
l’attitude qui prétend « effacer la différence sexuelle parce qu’elle ne sait
plus s’y confronter »[121],
n’est pas saine.
IV. LE PRINCIPE DU BIEN COMMUN
156. L’écologie humaine est inséparable de la notion
de bien commun, un principe qui joue un rôle central et unificateur dans
l’éthique sociale. C’est « l’ensemble des conditions sociales qui permettent,
tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection
d’une façon plus totale et plus aisée ».[122]
157. Le bien commun présuppose le respect de la
personne humaine comme telle, avec des droits fondamentaux et inaliénables
ordonnés à son développement intégral. Le bien commun exige aussi le bien-être
social et le développement des divers groupes intermédiaires, selon le principe
de subsidiarité. Parmi ceux-ci, la famille se distingue spécialement comme
cellule de base de la société. Finalement, le bien commun requiert la paix
sociale, c’est-à-dire la stabilité et la sécurité d’un certain ordre, qui ne se
réalise pas sans une attention particulière à la justice distributive, dont la
violation génère toujours la violence. Toute la société – et en elle, d’une
manière spéciale l’État, – a l’obligation de défendre et de promouvoir le bien
commun.
158. Dans les conditions actuelles de la société
mondiale, où il y a tant d’inégalités et où sont toujours plus nombreuses les
personnes marginalisées, privées des droits humains fondamentaux, le principe
du bien commun devient immédiatement comme conséquence logique et inéluctable,
un appel à la solidarité et à une option préférentielle pour les plus pauvres.
Cette option implique de tirer les conséquences de la destination commune des
biens de la terre, mais, comme j’ai essayé de l’exprimer dans l’Exhortation
apostolique Evangelii gaudium,[123]
elle exige de considérer avant tout l’immense dignité du pauvre à la lumière
des convictions de foi les plus profondes. Il suffit de regarder la réalité
pour comprendre que cette option est aujourd’hui une exigence éthique
fondamentale pour la réalisation effective du bien commun.
V. LA JUSTICE ENTRE GÉNÉRATIONS
159. La notion de bien commun inclut aussi les
générations futures. Les crises économiques internationales ont montré de façon
crue les effets nuisibles qu’entraîne la méconnaissance d’un destin commun,
dont ceux qui viennent derrière nous ne peuvent pas être exclus. On ne peut
plus parler de développement durable sans une solidarité intergénérationnelle.
Quand nous pensons à la situation dans laquelle nous laissons la planète aux
générations futures, nous entrons dans une autre logique, celle du don gratuit
que nous recevons et que nous communiquons. Si la terre nous est donnée, nous
ne pouvons plus penser seulement selon un critère utilitariste d’efficacité et
de productivité pour le bénéfice individuel. Nous ne parlons pas d’une attitude
optionnelle, mais d’une question fondamentale de justice, puisque la terre que
nous recevons appartient aussi à ceux qui viendront. Les Évêques du Portugal
ont exhorté à assumer ce devoir de justice : « L’environnement se situe dans la
logique de la réception. C’est un prêt que chaque génération reçoit et doit
transmettre à la génération suivante».[124]
Une écologie intégrale possède cette vision ample.
160. Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux
qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent ? Cette question ne concerne
pas seulement l’environnement de manière isolée, parce qu’on ne peut pas poser
la question de manière fragmentaire. Quand nous nous interrogeons sur le monde
que nous voulons laisser, nous parlons surtout de son orientation générale, de
son sens, de ses valeurs. Si cette question de fond n’est pas prise en compte,
je ne crois pas que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets
significatifs. Mais si cette question est posée avec courage, elle nous conduit
inexorablement à d’autres interrogations très directes : pour quoi passons-nous
en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et
luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ? C’est pourquoi,
il ne suffit plus de dire que nous devons nous préoccuper des générations
futures. Il est nécessaire de réaliser que ce qui est en jeu, c’est notre
propre dignité. Nous sommes, nous-mêmes, les premiers à avoir intérêt à laisser
une planète habitable à l’humanité qui nous succédera. C’est un drame pour
nous-mêmes, parce que cela met en crise le sens de notre propre passage sur cette
terre.
161. Les prévisions catastrophistes ne peuvent plus
être considérées avec mépris ni ironie. Nous pourrions laisser trop de
décombres, de déserts et de saletés aux prochaines générations. Le rythme de
consommation, de gaspillage et de détérioration de l’environnement a dépassé
les possibilités de la planète, à tel point que le style de vie actuel, parce
qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à des catastrophes, comme, de
fait, cela arrive déjà périodiquement dans diverses régions. L’atténuation des
effets de l’actuel déséquilibre dépend de ce que nous ferons dans l’immédiat,
surtout si nous pensons à la responsabilité que ceux qui devront supporter les
pires conséquences nous attribueront.
162. La difficulté de prendre au sérieux ce défi est
en rapport avec une détérioration éthique et culturelle, qui accompagne la
détérioration écologique. L’homme et la femme du monde post-moderne courent le
risque permanent de devenir profondément individualistes, et beaucoup de
problèmes sociaux sont liés à la vision égoïste actuelle axée sur
l’immédiateté, aux crises des liens familiaux et sociaux, aux difficultés de la
reconnaissance de l’autre. Bien des fois, il y a une consommation des parents,
immédiate et excessive, qui affecte leurs enfants de plus en plus de
difficultés pour acquérir une maison et pour fonder une famille. En outre,
notre incapacité à penser sérieusement aux générations futures est liée à notre
incapacité à élargir notre conception des intérêts actuels et à penser à ceux
qui demeurent exclus du développement. Ne pensons pas seulement aux pauvres de
l’avenir, souvenons-nous déjà des pauvres d’aujourd’hui, qui ont peu d’années
de vie sur cette terre et ne peuvent pas continuer d’attendre. C’est pourquoi,
« au-delà d’une loyale solidarité intergénérationnelle, l’urgente nécessité
morale d’une solidarité intra-générationnelle renouvelée doit être
réaffirmée ».[125]
CINQUIEME CHAPITRE
QUELQUES LIGNES D’ORIENTATION
ET D’ACTION
ET D’ACTION
163. J’ai cherché à analyser la situation actuelle de
l’humanité, tant dans les fissures qui s’observent sur la planète que nous
habitons, que dans les causes plus profondément humaines de la dégradation de
l’environnement. Bien que cette observation de la réalité nous montre déjà en
soi la nécessité d’un changement de direction, et nous suggère certaines
actions, essayons à présent de tracer les grandes lignes de dialogue à même de
nous aider à sortir de la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous
enfonçons.
I. LE DIALOGUE SUR L’ENVIRONNEMENT
DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE
DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE
164. Depuis la moitié du siècle dernier, après avoir
surmonté beaucoup de difficultés, on a eu de plus en plus tendance à concevoir
la planète comme une patrie, et l’humanité comme un peuple qui habite une
maison commune. Que le monde soit interdépendant ne signifie pas seulement
comprendre que les conséquences préjudiciables des modes de vie, de production
et de consommation affectent tout le monde, mais surtout faire en sorte que les
solutions soient proposées dans une perspective globale, et pas seulement pour
défendre les intérêts de certains pays. L’interdépendance nous oblige à penser à
un monde unique, à un projet commun. Mais la même intelligence que l’on
déploie pour un impressionnant développement technologique, ne parvient pas à
trouver des formes efficaces de gestion internationale pour résoudre les graves
difficultés environnementales et sociales. Pour affronter les problèmes de fond
qui ne peuvent pas être résolus par les actions de pays isolés, un consensus
mondial devient indispensable, qui conduirait, par exemple, à programmer une
agriculture durable et diversifiée, à développer des formes d’énergies
renouvelables et peu polluantes, à promouvoir un meilleur rendement
énergétique, une gestion plus adéquate des ressources forestières et marines, à
assurer l’accès à l’eau potable pour tous.
165. Nous savons que la technologie reposant sur les
combustibles fossiles très polluants – surtout le charbon, mais aussi le
pétrole et, dans une moindre mesure, le gaz – a besoin d’être remplacée,
progressivement et sans retard. Tant qu’il n’y aura pas un développement
conséquent des énergies renouvelables, développement qui devrait être déjà en
cours, il est légitime de choisir le moindre mal et de recourir à des solutions
transitoires. Cependant, on ne parvient pas, dans la communauté internationale,
à des accords suffisants sur la responsabilité de ceux qui doivent supporter
les coûts de la transition énergétique. Ces dernières décennies, les questions
d’environnement ont généré un large débat public qui a fait grandir dans la
société civile des espaces pour de nombreux engagements et un généreux
dévouement. La politique et l’entreprise réagissent avec lenteur, loin d’être à
la hauteur des défis mondiaux. En ce sens, alors que l’humanité de l’époque
post-industrielle sera peut-être considérée comme l’une des plus irresponsables
de l’histoire, il faut espérer que l’humanité du début du XXIème
siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses
graves responsabilités.
166. Le mouvement écologique mondial a déjà fait un
long parcours, enrichi par les efforts de nombreuses organisations de la
société civile. Il n’est pas possible ici de les mentionner toutes, ni de
retracer l’histoire de leurs apports. Mais grâce à un fort engagement, les
questions environnementales ont été de plus en plus présentes dans l’agenda
public et sont devenues une invitation constante à penser à long terme.
Cependant, les Sommets mondiaux de ces dernières années sur l’environnement
n’ont pas répondu aux attentes parce que, par manque de décision politique, ils
ne sont pas parvenus à des accords généraux, vraiment significatifs et
efficaces, sur l’environnement.
167. Il convient de mettre l’accent sur le Sommet
planète Terre, réuni en 1992 à Rio de Janeiro. Il y a été proclamé que « les
êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement
durable».[126]
Reprenant des éléments de la Déclaration de Stockholm (1972), il a consacré la
coopération internationale pour préserver l’écosystème de la terre entière,
l’obligation pour celui qui pollue d’en assumer économiquement la charge, le
devoir d’évaluer l’impact sur l’environnement de toute entreprise ou projet. Il
a proposé comme objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de
serre dans l’atmosphère pour inverser la tendance au réchauffement global. Il a
également élaboré un agenda avec un programme d’action et un accord sur la
diversité biologique, il a déclaré des principes en matière de forêts. Même si
ce Sommet a vraiment été innovateur et prophétique pour son époque, les accords
n’ont été que peu mis en œuvre parce qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de
révision périodique et de sanction en cas de manquement, n’avait été établi.
Les principes énoncés demandent encore des moyens, efficaces et souples, de
mise en œuvre pratique.
168. Parmi les expériences positives, on peut
mentionner, par exemple, la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements
transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination, avec un système de
déclaration, de standards et de contrôles ; on peut citer également la
Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore
sauvages menacées d’extinction, qui inclut des missions de vérification de son
respect effectif. Grâce à la Convention de Vienne pour la protection de la
couche d’ozone, et sa mise en œuvre à travers le Protocole de Montréal et ses
amendements, le problème de l’amincissement de cette couche semble être entré
dans une phase de solution.
169. Pour ce qui est de la protection de la diversité
biologique et en ce qui concerne la désertification, les avancées ont été
beaucoup moins significatives. S’agissant du changement climatique, les
avancées sont hélas très médiocres. La réduction des gaz à effet de serre exige
honnêteté, courage et responsabilité, surtout de la part des pays les plus
puissants et les plus polluants. La Conférence des Nations Unies sur le
développement durable, dénommée Rio+20 (Rio de Janeiro 2012), a émis un long et
inefficace Document final. Les négociations internationales ne peuvent pas
avancer de manière significative en raison de la position des pays qui mettent
leurs intérêts nationaux au dessus du bien commun général. Ceux qui souffriront
des conséquences que nous tentons de dissimuler rappelleront ce manque de
conscience et de responsabilité. Alors que se préparait cette Encyclique, le
débat a atteint une intensité particulière. Nous, les croyants, nous ne pouvons
pas cesser de demander à Dieu qu’il y ait des avancées positives dans les
discussions actuelles, de manière à ce que les générations futures ne souffrent
pas des conséquences d’ajournements imprudents.
170. Certaines des stratégies de basse émission de gaz
polluants cherchent l’internationalisation des coûts environnementaux, avec le
risque d’imposer aux pays de moindres ressources de lourds engagements de
réduction des émissions, comparables à ceux des pays les plus industrialisés.
L’imposition de ces mesures porte préjudice aux pays qui ont le plus besoin de
développement. Une nouvelle injustice est ainsi ajoutée sous couvert de
protection de l’environnement. Comme toujours, le fil est rompu à son point le
plus faible. Étant donné que les effets du changement climatique se feront sentir
pendant longtemps, même si des mesures strictes sont prises maintenant,
certains pays aux maigres ressources auront besoin d’aide pour s’adapter aux
effets qui déjà se produisent et qui affectent leurs économies. Il reste vrai
qu’il y a des responsabilités communes mais différenciées, simplement parce
que, comme l’ont relevé les Évêques de Bolivie, « les pays qui ont bénéficié
d’un degré élevé d’industrialisation, au prix d’une énorme émission de gaz à
effet de serre, ont une plus grande responsabilité dans l’apport de la solution
aux problèmes qu’ils ont causés ».[127]
171. La stratégie d’achat et de vente de “crédits de
carbone” peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne
servirait pas à réduire l’émission globale des gaz polluants. Ce système semble
être une solution rapide et facile, sous l’apparence d’un certain engagement
pour l’environnement, mais qui n’implique, en aucune manière, de changement
radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il peut devenir un
expédient qui permet de soutenir la sur-consommation de certains pays et
secteurs.
172. Les pays pauvres doivent avoir comme priorité
l’éradication de la misère et le développement social de leurs habitants ; bien
qu’ils doivent analyser le niveau de consommation scandaleux de certains
secteurs privilégiés de leur population et contrôler la corruption. Il est vrai
aussi qu’ils doivent développer des formes moins polluantes de production
d’énergie, mais pour cela ils doivent pouvoir compter sur l’aide des pays qui
ont connu une forte croissance au prix de la pollution actuelle de la planète.
L’exploitation directe de l’abondante énergie solaire demande que des
mécanismes et des subsides soient établis, de sorte que les pays en
développement puissent accéder au transfert de technologies, à l’assistance
technique, et aux ressources financières, mais toujours en faisant attention
aux conditions concrètes, puisque « on n’évalue pas toujours de manière
adéquate la compatibilité des infrastructures avec le contexte pour lequel
elles ont été conçues ».[128]
Les coûts seraient faibles si on les comparait aux risques du changement
climatique. De toute manière, c’est avant tout une décision éthique, fondée sur
la solidarité entre tous les peuples.
173. Étant donnée la fragilité des instances locales,
des accords internationaux sont urgents, qui soient respectés pour intervenir
de manière efficace. Les relations entre les États doivent sauvegarder la
souveraineté de chacun, mais aussi établir des chemins consensuels pour éviter
des catastrophes locales qui finiraient par toucher tout le monde. Il manque de
cadres régulateurs généraux qui imposent des obligations, et qui empêchent des
agissements intolérables, comme le fait que certains pays puissants transfèrent
dans d’autres pays des déchets et des industries hautement polluants.
174. Mentionnons aussi le système de gestion des
océans. En effet, même s’il y a eu plusieurs conventions internationales et
régionales, l’éparpillement et l’absence de mécanismes sévères de
réglementation, de contrôle et de sanction finissent par miner tous les
efforts. Le problème croissant des déchets marins et de la protection des zones
marines au-delà des frontières nationales continue de représenter un défi particulier.
En définitive, il faut un accord sur les régimes de gestion, pour toute la
gamme de ce qu’on appelle les “biens communs globaux”.
175. La même logique qui entrave la prise de décisions
drastiques pour inverser la tendance au réchauffement global, ne permet pas non
plus d’atteindre l’objectif d’éradiquer la pauvreté. Il faut une réaction
globale plus responsable, qui implique en même temps la lutte pour la réduction
de la pollution et le développement des pays et des régions pauvres. Le XXIème
siècle, alors qu’il maintient un système de gouvernement propre aux époques
passées, est le théâtre d’un affaiblissement du pouvoir des États nationaux,
surtout parce que la dimension économique et financière, de caractère
transnational, tend à prédominer sur la politique. Dans ce contexte, la
maturation d’institutions internationales devient indispensable, qui doivent
être plus fortes et efficacement organisées, avec des autorités désignées
équitablement par accord entre les gouvernements nationaux, et dotées de
pouvoir pour sanctionner. Comme l’a affirmé Benoît XVI dans la ligne déjà
développée par la doctrine sociale de l’Eglise : « Pour le gouvernement de
l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour
prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un
souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à
la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux
migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité
politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur,
[saint] Jean XXIII».[129]
Dans cette perspective, la diplomatie acquiert une importance inédite, en vue
de promouvoir des stratégies internationales anticipant les problèmes plus
graves qui finissent par affecter chacun.
II. LE DIALOGUE EN VUE DE NOUVELLES POLITIQUES
NATIONALES ET LOCALES
NATIONALES ET LOCALES
176. Non seulement il y a des gagnants et des perdants
entre les pays, mais aussi entre les pays pauvres, où diverses responsabilités
doivent être identifiées. Pour cela, les questions concernant l’environnement
et le développement économique ne peuvent plus se poser seulement à partir des
différences entre pays, mais demandent qu’on prête attention aux politiques
nationales et locales.
177. Face à la possibilité d’une utilisation
irresponsable des capacités humaines, planifier, coordonner, veiller, et
sanctionner sont des fonctions impératives de chaque État. Comment la société
prépare-t-elle et protège-t-elle son avenir dans un contexte de constantes
innovations technologiques ? Le droit, qui établit les règles des comportements
acceptables à la lumière du bien commun, est un facteur qui fonctionne comme un
modérateur important. Les limites qu’une société saine, mature et souveraine
doit imposer sont liées à la prévision, à la précaution, aux régulations
adéquates, à la vigilance dans l’application des normes, à la lutte contre la
corruption, aux actions de contrôle opérationnel sur les effets émergents non
désirés des processus productifs, et à l’intervention opportune face aux
risques incertains ou potentiels. Il y a une jurisprudence croissante visant à
diminuer les effets polluants des activités des entreprises. Mais le cadre
politique et institutionnel n’est pas là seulement pour éviter les mauvaises
pratiques, mais aussi pour encourager les bonnes pratiques, pour stimuler la créativité
qui cherche de nouvelles voies, pour faciliter les initiatives personnelles et
collectives.
178. Le drame de l’"immédiateté" politique,
soutenue aussi par des populations consuméristes, conduit à la nécessité de
produire de la croissance à court terme. Répondant à des intérêts électoraux,
les gouvernements ne prennent pas facilement le risque de mécontenter la
population avec des mesures qui peuvent affecter le niveau de consommation ou
mettre en péril des investissements étrangers. La myopie de la logique du
pouvoir ralentit l’intégration de l’agenda environnemental aux vues larges,
dans l’agenda public des gouvernements. On oublie ainsi que « le temps est
supérieur à l’espace»,[130]
que nous sommes toujours plus féconds quand nous nous préoccupons plus
d’élaborer des processus que de nous emparer des espaces de pouvoir. La
grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour
les grands principes et en pensant au bien commun à long terme. Il est très
difficile pour le pouvoir politique d’assumer ce devoir dans un projet de
Nation.
179. En certains lieux, se développent des coopératives
pour l’exploitation d’énergies renouvelables, qui permettent l’auto suffisance
locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple montre que l’instance
locale peut faire la différence alors que l’ordre mondial existant se révèle
incapable de prendre ses responsabilités. En effet, on peut à ce niveau
susciter une plus grande responsabilité, un fort sentiment communautaire, une
capacité spéciale de protection et une créativité plus généreuse, un amour
profond pour sa terre ; là aussi, on pense à ce qu’on laisse aux enfants et aux
petits-enfants. Ces valeurs ont un enracinement notable dans les populations
aborigènes. Étant donné que le droit se montre parfois insuffisant en raison de
la corruption, il faut que la décision politique soit incitée par la pression
de la population. La société, à travers des organismes non gouvernementaux et
des associations intermédiaires, doit obliger les gouvernements à développer
des normes, des procédures et des contrôles plus rigoureux. Si les citoyens ne
contrôlent pas le pouvoir politique – national, régional et municipal – un
contrôle des dommages sur l’environnement n’est pas possible non plus. D’autre
part, les législations des municipalités peuvent être plus efficaces s’il y a
des accords entre populations voisines pour soutenir les mêmes politiques
environnementales.
180. On ne peut pas penser à des recettes uniformes,
parce que chaque pays ou région a des problèmes et des limites spécifiques. Il
est aussi vrai que le réalisme politique peut exiger des mesures et des
technologies de transition, à condition qu’elles soient toujours accompagnées
par le projet et par l’acceptation d’engagements progressifs contraignants.
Mais, tant au niveau national que local il reste beaucoup à faire, comme, par
exemple, promouvoir des formes d’économies d’énergie. Ceci implique de
favoriser des modes de production industrielle ayant une efficacité énergétique
maximale et utilisant moins de matière première, retirant du marché les
produits peu efficaces du point de vue énergétique, ou plus polluants. On peut
aussi mentionner une bonne gestion des transports, ou des formes de
construction ou de réfection d’édifices qui réduisent leur consommation
énergétique et leur niveau de pollution. D’autre part, l’action politique
locale peut s’orienter vers la modification de la consommation, le
développement d’une économie des déchets et du recyclage, la protection des
espèces et la programmation d’une agriculture diversifiée avec la rotation des
cultures. Il est possible d’encourager l’amélioration agricole de régions
pauvres par les investissements dans des infrastructures rurales, dans
l’organisation du marché local ou national, dans des systèmes d’irrigation,
dans le développement de techniques agricoles durables. On peut faciliter des
formes de coopération ou d’organisation communautaire qui défendent les
intérêts des petits producteurs et préservent les écosystèmes locaux de la
déprédation. Il y a tant de choses que l’on peut faire !
181. La continuité est indispensable parce que les politiques
relatives au changement climatique et à la sauvegarde de l’environnement ne
peuvent pas changer chaque fois que change un gouvernement. Les résultats
demandent beaucoup de temps et supposent des coûts immédiats, avec des effets
qui ne seront pas visibles au cours du mandat du gouvernement concerné. C’est
pourquoi sans la pression de la population et des institutions, il y aura
toujours de la résistance à intervenir, plus encore quand il y aura des
urgences à affronter. Qu’un homme politique assume ces responsabilités avec les
coûts que cela implique, ne répond pas à la logique d’efficacité et
d’immédiateté de l’économie ni à celle de la politique actuelle ; mais s’il ose
le faire, cela le conduira à reconnaître la dignité que Dieu lui a donnée comme
homme, et il laissera dans l’histoire un témoignage de généreuse
responsabilité. Il faut accorder une place prépondérante à une saine politique,
capable de réformer les institutions, de les coordonner et de les doter de
meilleures pratiques qui permettent de vaincre les pressions et les inerties
vicieuses. Cependant, il faut ajouter que les meilleurs mécanismes finissent
par succomber quand manquent les grandes finalités, les valeurs, une
compréhension humaniste et riche de sens qui donnent à chaque société une
orientation noble et généreuse.
III. DIALOGUE ET TRANSPARENCE
DANS LES PROCESSUS DE PRISE DE DÉCISIONS
DANS LES PROCESSUS DE PRISE DE DÉCISIONS
182. La prévision de l’impact sur l’environnement des
initiatives et des projets requiert des processus politiques transparents et
soumis au dialogue, alors que la corruption, qui cache le véritable impact
environnemental d’un projet en échange de faveurs, conduit habituellement à des
accords fallacieux au sujet desquels on évite information et large débat.
183. Une étude de l’impact sur l’environnement ne
devrait pas être postérieure à l’élaboration d’un projet de production ou d’une
quelconque politique, plan ou programme à réaliser. Il faut qu’elle soit
insérée dès le début, et élaborée de manière interdisciplinaire, transparente
et indépendante de toute pression économique ou politique. Elle doit être en
lien avec l’analyse des conditions de travail et l’analyse des effets
possibles, entre autres, sur la santé physique et mentale des personnes, sur
l’économie locale, sur la sécurité. Les résultats économiques pourront être
ainsi déduits de manière plus réaliste, prenant en compte les scénarios
possibles et prévoyant éventuellement la nécessité d’un plus grand
investissement pour affronter les effets indésirables qui peuvent être
corrigés. Il est toujours nécessaire d’arriver à un consensus entre les
différents acteurs sociaux, qui peuvent offrir des points de vue, des solutions
et des alternatives différents. Mais à la table de discussion, les habitants
locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se demandent ce qu’ils
veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui peuvent considérer les objectifs
qui transcendent l’intérêt économique immédiat. Il faut cesser de penser en
terme d’“interventions” sur l’environnement, pour élaborer des politiques
conçues et discutées par toutes les parties intéressées. La participation
requiert que tous soient convenablement informés sur les divers aspects ainsi
que sur les différents risques et possibilités ; elle ne se limite pas à la
décision initiale d’un projet, mais concerne aussi les actions de suivi et de
surveillance constante. La sincérité et la vérité sont nécessaires dans les
discussions scientifiques et politiques, qui ne doivent pas se limiter à
considérer ce qui est permis ou non par la législation.
184. Quand d’éventuels risques pour l’environnement,
qui affectent le bien commun, présent et futur, apparaissent, cette situation
exige que « les décisions soient fondées sur une confrontation entre les
risques et les bénéfices envisageables pour tout choix alternatif possible ».[131]
Cela vaut surtout si un projet peut entraîner un accroissement de l’utilisation
des ressources naturelles, des émissions ou des rejets, de la production de
déchets, ou une modification significative du paysage, de l’habitat des espèces
protégées, ou d’un espace public. Certains projets qui ne sont pas suffisamment
analysés peuvent affecter profondément la qualité de vie dans un milieu pour
des raisons très diverses, comme une pollution acoustique non prévue, la
réduction du champ visuel, la perte de valeurs culturelles, les effets de
l’utilisation de l’énergie nucléaire. La culture consumériste, qui donne
priorité au court terme et à l’intérêt privé, peut encourager des procédures
trop rapides ou permettre la dissimulation d’information.
185. Dans toute discussion autour d’une initiative,
une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou
non un véritable développement intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ? Quand ?
De quelle manière ? Pour qui ? Quels sont les risques ? À quel coût ? Qui
paiera les coûts et comment le fera-t-il ? Dans ce discernement, certaines
questions doivent avoir la priorité. Par exemple, nous savons que l’eau est une
ressource limitée et indispensable, et y avoir accès est un droit fondamental
qui conditionne l’exercice des autres droits humains. Ceci est indubitable et
conditionne toute analyse de l’impact environnemental d’une région.
186. Dans la Déclaration de Rio de 1992, il est
affirmé : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de
certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à
plus tard l’adoption de mesures effectives »[132]
qui empêcheraient la dégradation de l’environnement. Ce principe de précaution
permet la protection des plus faibles, qui disposent de peu de moyens pour se
défendre et pour apporter des preuves irréfutables. Si l’information objective
conduit à prévoir un dommage grave et irréversible, bien qu’il n’y ait pas de
preuve indiscutable, tout projet devra être arrêté ou modifié. Ainsi, on
inverse la charge de la preuve, puisque dans ce cas il faut apporter une
démonstration objective et indiscutable que l’activité proposée ne va pas
générer de graves dommages à l’environnement ou à ceux qui y habitent.
187. Cela n’entraîne pas qu’il faille s’opposer à
toute innovation technologique qui permette d’améliorer la qualité de vie d’une
population. Mais, dans tous les cas, il doit toujours être bien établi que la
rentabilité ne peut pas être l’unique élément à prendre en compte et que, au
moment où apparaissent de nouveaux critères de jugement à partir de l’évolution
de l’information, il devrait y avoir une nouvelle évaluation avec la
participation de toutes les parties intéressées. Le résultat de la discussion
pourrait être la décision de ne pas avancer dans un projet, mais pourrait être
aussi sa modification ou l’élaboration de propositions alternatives.
188. Dans certaines discussions sur des questions
liées à l’environnement, il est difficile de parvenir à un consensus. Encore
une fois je répète que l’Église n’a pas la prétention de juger des questions
scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j’invite à un débat
honnête et transparent, pour que les besoins particuliers ou les idéologies
n’affectent pas le bien commun.
IV. POLITIQUE ET ÉCONOMIE EN DIALOGUE
POUR LA PLÉNITUDE HUMAINE
POUR LA PLÉNITUDE HUMAINE
189. La politique ne doit pas se soumettre à
l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme
d’efficacité de la technocratie. Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous
avons impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se
mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine. Sauver
les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la
ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme
une emprise absolue des finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement
générer de nouvelles crises après une longue, couteuse et apparente guérison.
La crise financière de 2007-2008 était une occasion pour le développement d’une
nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle
régulation de l’activité financière spéculative et de la richesse fictive. Mais
il n’y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser les critères
obsolètes qui continuent à régir le monde. La production n’est pas toujours
rationnelle, et souvent elle est liée à des variables économiques qui fixent
pour les produits une valeur qui ne correspond pas à leur valeur réelle. Cela
conduit souvent à la surproduction de certaines marchandises, avec un impact
inutile sur l’environnement qui, en même temps, porte préjudice à de nombreuses
économies régionales.[133]
La bulle financière est aussi, en général, une bulle productive. En définitive,
n’est pas affrontée avec énergie la question de l’économie réelle, qui permet
par exemple que la production se diversifie et s’améliore, que les entreprises
fonctionnent bien, que les petites et moyennes entreprises se développent et
créent des emplois.
190. Dans ce contexte, il faut toujours se rappeler
que « la protection de l’environnement ne peut pas être assurée uniquement en
fonction du calcul financier des coûts et des bénéfices. L’environnement fait
partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de
défendre ou de promouvoir de façon adéquate ».[134]
Une fois de plus, il faut éviter une conception magique du marché qui fait
penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l’accroissement des
bénéfices des entreprises ou des individus. Est-il réaliste d’espérer que celui
qui a l’obsession du bénéfice maximum s’attarde à penser aux effets
environnementaux qu’il laissera aux prochaines générations ? Dans le schéma du
gain il n’y a pas de place pour penser aux rythmes de la nature, à ses périodes
de dégradation et de régénération, ni à la complexité des écosystèmes qui
peuvent être gravement altérés par l’intervention humaine. De plus, quand on
parle de biodiversité, on la conçoit au mieux comme une réserve de ressources
économiques qui pourrait être exploitée, mais on ne prend pas en compte
sérieusement, entre autres, la valeur réelle des choses, leur signification pour
les personnes et les cultures, les intérêts et les nécessités des pauvres.
191. Quand on pose ces questions, certains réagissent
en accusant les autres de prétendre arrêter irrationnellement le progrès et le
développement humain. Mais nous devons nous convaincre que ralentir un rythme
déterminé de production et de consommation peut donner lieu à d’autres formes
de progrès et de développement. Les efforts pour une exploitation durable des
ressources naturelles ne sont pas une dépense inutile, mais un investissement
qui pourra générer d’autres bénéfices économiques à moyen terme. Si nous ne
souffrons pas d’étroitesse de vue, nous pouvons découvrir que la
diversification d’une production plus innovante, et ce avec un moindre impact
sur l’environnement, peut être très rentable. Il s’agit d’ouvrir le chemin à
différentes opportunités qui n’impliquent pas d’arrêter la créativité de
l’homme et son rêve de progrès, mais d’orienter cette énergie vers des voies
nouvelles.
192. Par exemple, un chemin de développement productif
plus créatif et mieux orienté pourrait corriger le fait qu’il y a un
investissement technologique excessif pour la consommation et faible pour
résoudre les problèmes en suspens de l’humanité ; il pourrait générer des
formes intelligentes et rentables de réutilisation, d’utilisation
multifonctionnelle et de recyclage ; il pourrait encore améliorer l’efficacité
énergétique des villes. La diversification de la production ouvre d’immenses
possibilités à l’intelligence humaine pour créer et innover, en même temps
qu’elle protège l’environnement et crée plus d’emplois. Ce serait une
créativité capable de faire fleurir de nouveau la noblesse de l’être humain,
parce qu’il est plus digne d’utiliser l’intelligence, avec audace et
responsabilité, pour trouver des formes de développement durable et équitable,
dans le cadre d’une conception plus large de ce qu’est la qualité de vie.
Inversement, il est moins digne, il est superficiel et moins créatif de
continuer à créer des formes de pillage de la nature seulement pour offrir de
nouvelles possibilités de consommation et de gain immédiat.
193. De toute manière, si dans certains cas le
développement durable entraînera de nouvelles formes de croissance, dans
d’autres cas, face à l’accroissement vorace et irresponsable produit durant de
nombreuses décennies, il faudra penser aussi à marquer une pause en mettant
certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il ne
soit trop tard. Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et
détruisent toujours davantage n’est pas soutenable, tandis que d’autres ne
peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine. C’est pourquoi l’heure
est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde,
mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres
parties. Benoît XVI affirmait qu’« il est nécessaire que les sociétés
technologiquement avancées soient disposées à favoriser des comportements plus
sobres, réduisant leurs propres besoins d’énergie et améliorant les conditions
de son utilisation ».[135]
194. Pour que surgissent de nouveaux modèles de
progrès nous devons « convertir le modèle de développement global»,[136]
ce qui implique de réfléchir de manière responsable « sur le sens de l’économie
et de ses objectifs, pour en corriger les dysfonctionnements et les
déséquilibres ».[137]
Il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature
et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès.
Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu
l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement
technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité
de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès.
D’autre part, la qualité réelle de vie des personnes diminue souvent – à cause
de la détérioration de l’environnement, de la mauvaise qualité des produits
alimentaires eux-mêmes ou de l’épuisement de certaines ressources – dans un
contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de la croissance
durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme
les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la
technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se
réduit d’ordinaire à une série d’actions de marketing et d’image.
195. Le principe de la maximalisation du gain, qui
tend à s’isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle
de l’économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse au
prix des ressources futures ou de la santé de l’environnement ; si
l’exploitation d’une forêt fait augmenter la production, personne ne mesure
dans ce calcul la perte qu’implique la désertification du territoire, le
dommage causé à la biodiversité ou l’augmentation de la pollution. Cela veut
dire que les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une
part infime des coûts. Seul pourrait être considéré comme éthique un
comportement dans lequel « les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage
des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et
soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres
populations ou par les générations futures ».[138]
La rationalité instrumentale, qui fait seulement une analyse statique de la
réalité en fonction des nécessités du moment, est présente aussi bien quand
c’est le marché qui assigne les ressources, que lorsqu’un État planificateur le
fait.
196. Qu’en est-il de la politique ? Rappelons le
principe de subsidiarité qui donne la liberté au développement des capacités
présentes à tous les niveaux, mais qui exige en même temps plus de
responsabilité pour le bien commun de la part de celui qui détient plus de
pouvoir. Il est vrai qu’aujourd’hui certains secteurs économiques exercent
davantage de pouvoir que les États eux-mêmes. Mais on ne peut pas justifier une
économie sans politique, qui serait incapable de promouvoir une autre logique
qui régisse les divers aspects de la crise actuelle. La logique qui ne permet
pas d’envisager une préoccupation sincère pour l’environnement est la même qui
empêche de nourrir le souci d’intégrer les plus fragiles, parce que « dans le
modèle actuel de ‘succès’ et de ‘droit privé’, il ne semble pas que cela ait un
sens de s’investir pour que ceux qui restent en arrière, les faibles ou les
moins pourvus, puissent se faire un chemin dans la vie ».[139]
197. Nous avons besoin d’une politique aux vues
larges, qui suive une approche globale en intégrant dans un dialogue
interdisciplinaire les divers aspects de la crise. Souvent la politique
elle-même est responsable de son propre discrédit, à cause de la corruption et
du manque de bonnes politiques publiques. Si l’État ne joue pas son rôle dans
une
région, certains groupes économiques peuvent
apparaître comme des bienfaiteurs et s’approprier le pouvoir réel, se sentant
autorisés à ne pas respecter certaines normes, jusqu’à donner lieu à diverses
formes de criminalité organisée, de traite de personnes, de narcotrafic, et de
violence, très difficiles à éradiquer. Si la politique n’est pas capable de
rompre une logique perverse, et de plus reste enfermée dans des discours
appauvris, nous continuerons à ne pas faire face aux grands problèmes de l’humanité.
Une stratégie de changement réel exige de repenser la totalité des processus,
puisqu’il ne suffit pas d’inclure des considérations écologiques superficielles
pendant qu’on ne remet pas en cause la logique sous-jacente à la culture
actuelle. Une saine politique devrait être capable d’assumer ces défis.
198. La politique et l’économie ont tendance à
s’accuser mutuellement en ce qui concerne la pauvreté et la dégradation de
l’environnement. Mais il faut espérer qu’elles reconnaîtront leurs propres erreurs
et trouveront des formes d’interaction orientées vers le bien commun. Pendant
que les uns sont obnubilés uniquement par le profit économique et que d’autres
ont pour seule obsession la conservation ou l’accroissement de leur pouvoir, ce
que nous avons ce sont des guerres, ou bien des accords fallacieux où préserver
l’environnement et protéger les plus faibles est ce qui intéresse le moins les
deux parties. Là aussi vaut le principe : « l’unité est supérieure au conflit
».[140]
V. LES RELIGIONS DANS LE DIALOGUE
AVEC LES SCIENCES
AVEC LES SCIENCES
199. On ne peut pas soutenir que les sciences
empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures
et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs
frontières méthodologiques limitées. Si on réfléchit dans ce cadre fermé, la
sensibilité esthétique, la poésie, et même la capacité de la raison à percevoir
le sens et la finalité des choses disparaissent.[141]
Je veux rappeler que « les textes religieux classiques peuvent offrir une
signification pour toutes les époques, et ont une force de motivation qui ouvre
toujours de nouveaux horizons [...] Est-il raisonnable et intelligent de les
reléguer dans l’obscurité, seulement du fait qu’ils proviennent d’un contexte
de croyance religieuse ? ».[142]
En réalité, il est naïf de penser que les principes éthiques puissent se
présenter de manière purement abstraite, détachés de tout contexte, et le fait
qu’ils apparaissent dans un langage religieux ne les prive pas de toute valeur
dans le débat public. Les principes éthiques que la raison est capable de percevoir
peuvent réapparaître toujours de manière différente et être exprimés dans des
langages divers, y compris religieux.
200. D’autre part, toute solution technique que les
sciences prétendent apporter sera incapable de résoudre les graves problèmes du
monde si l’humanité perd le cap, si l’on oublie les grandes motivations qui
rendent possibles la cohabitation, le sacrifice, la bonté. De toute façon, il
faudra inviter les croyants à être cohérents avec leur propre foi et à ne pas
la contredire par leurs actions ; il faudra leur demander de s’ouvrir de
nouveau à la grâce de Dieu et de puiser au plus profond de leurs propres
convictions sur l’amour, la justice et la paix. Si une mauvaise compréhension
de nos propres principes nous a parfois conduits à justifier le mauvais
traitement de la nature, la domination despotique de l’être humain sur la
création, ou les guerres, l’injustice et la violence, nous, les croyants, nous
pouvons reconnaître que nous avons alors été infidèles au trésor de sagesse que
nous devions garder. Souvent les limites culturelles des diverses époques ont
conditionné cette conscience de leur propre héritage éthique et spirituel, mais
c’est précisément le retour à leurs sources qui permet aux religions de mieux
répondre aux nécessités actuelles.
201. La majorité des habitants de la planète se
déclare croyante, et cela devrait inciter les religions à entrer dans un
dialogue en vue de la sauvegarde de la nature, de la défense des pauvres, de la
construction de réseaux de respect et de fraternité. Un dialogue entre les
sciences elles-mêmes est aussi nécessaire parce que chacune a l’habitude de
s’enfermer dans les limites de son propre langage, et la spécialisation a
tendance à devenir isolement et absolutisation du savoir de chacun. Cela empêche
d’affronter convenablement les problèmes de l’environnement. Un dialogue ouvert
et respectueux devient aussi nécessaire entre les différents mouvements
écologistes, où les luttes idéologiques ne manquent pas. La gravité de la crise
écologique exige que tous nous pensions au bien commun et avancions sur un
chemin de dialogue qui demande patience, ascèse et générosité, nous souvenant
toujours que « la réalité est supérieure à l’idée ».[143]
SIXIEME CHAPITRE
EDUCATION
ET SPIRITUALITE ECOLOGIQUES
ET SPIRITUALITE ECOLOGIQUES
202. Beaucoup de choses doivent être réorientées, mais
avant tout l’humanité a besoin de changer. La conscience d’une origine commune,
d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous, est nécessaire.
Cette conscience fondamentale permettrait le développement de nouvelles
convictions, attitudes et formes de vie. Ainsi un grand défi culturel,
spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus de régénération, est
mis en évidence.
I. MISER SUR UN AUTRE STYLE DE VIE
203. Étant donné que le marché tend à créer un
mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits, les personnes
finissent par être submergées, dans une spirale d’achats et de dépenses
inutiles. Le consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme
techno-économique. Il arrive ce que Romano Guardini signalait déjà : l’être
humain « accepte les choses usuelles et les formes de la vie telles qu’elles
lui sont imposées par les plans rationnels et les produits normalisés de la
machine et, dans l’ensemble, il le fait avec l’impression que tout cela est
raisonnable et juste ».[144]
Ce paradigme fait croire à tous qu’ils sont libres, tant qu’ils ont une
soi-disant liberté pour consommer, alors que ceux qui ont en réalité la
liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir
économique et financier. Dans cette équivoque, l’humanité postmoderne n’a pas
trouvé une nouvelle conception d’elle-même qui puisse l’orienter, et ce manque
d’identité est vécu avec angoisse. Nous possédons trop de moyens pour des fins
limitées et rachitiques.
204. La situation actuelle du monde « engendre un
sentiment de précarité et d’insécurité qui, à son tour, nourrit des formes
d’égoïsme collectif ».[145]
Quand les personnes deviennent autoréférentielles et s’isolent dans leur propre
conscience, elles accroissent leur voracité. En effet, plus le cœur de la
personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à
consommer. Dans ce contexte, il ne semble pas possible qu’une personne accepte
que la réalité lui fixe des limites. À cet horizon, un vrai bien commun
n’existe pas non plus. Si c’est ce genre de sujet qui tend à prédominer dans
une société, les normes seront seulement respectées dans la mesure où elles ne
contredisent pas des besoins personnels. C’est pourquoi nous ne pensons pas
seulement à l’éventualité de terribles phénomènes climatiques ou à de grands
désastres naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de crises sociales,
parce que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra que provoquer
violence et destruction réciproque, surtout quand seul un petit nombre peut se
le permettre.
205. Cependant, tout n’est pas perdu, parce que les
êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter,
opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les
conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables de se
regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégoût
et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté. Il n’y a pas de
systèmes qui annulent complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la
beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue d’encourager du plus
profond des cœurs humains. Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas
oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever.
206. Un changement dans les styles de vie pourrait
réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir
politique, économique et social. C’est ce qui arrive quand les mouvements de
consommateurs obtiennent qu’on n’achète plus certains produits, et deviennent
ainsi efficaces pour modifier le comportement des entreprises, en les forçant à
considérer l’impact environnemental et les modèles de production. C’est un
fait, quand les habitudes de la société affectent le gain des entreprises,
celles-ci se trouvent contraintes à produire autrement. Cela nous rappelle la
responsabilité sociale des consommateurs : « Acheter est non seulement un acte
économique mais toujours aussi un acte moral ».[146]
C’est pourquoi, aujourd’hui « le thème de la dégradation environnementale met
en cause les comportements de chacun de nous ».[147]
207. La Charte de la Terre nous invitait tous à
tourner le dos à une étape d’autodestruction et à prendre un nouveau départ,
mais nous n’avons pas encore développé une conscience universelle qui le rende
possible. Voilà pourquoi j’ose proposer de nouveau ce beau défi : “Comme jamais
auparavant dans l’histoire, notre destin commun nous invite à chercher un
nouveau commencement [...] Faisons en sorte que notre époque soit reconnue dans
l’histoire comme celle de l’éveil d’une nouvelle forme d’hommage à la vie,
d’une ferme résolution d’atteindre la durabilité, de l’accélération de la lutte
pour la justice et la paix et de l’heureuse célébration de la vie”.[148]
208. Il est toujours possible de développer à nouveau
la capacité de sortir de soi vers l’autre. Sans elle, on ne reconnaît pas la
valeur propre des autres créatures, on ne se préoccupe pas de protéger quelque
chose pour les autres, on n’a pas la capacité de se fixer des limites pour
éviter la souffrance ou la détérioration de ce qui nous entoure. L’attitude
fondamentale de se transcender, en rompant avec l’isolement de la conscience et
l’autoréférentialité, est la racine qui permet toute attention aux autres et à
l’environnement, et qui fait naître la réaction morale de prendre en compte
l’impact que chaque action et chaque décision personnelle provoquent hors de
soi-même. Quand nous sommes capables de dépasser l’individualisme, un autre
style de vie peut réellement se développer et un changement important devient
possible dans la société.
II. ÉDUCATION POUR L’ALLIANCE
ENTRE L’HUMANITÉ ET L’ENVIRONNEMENT
ENTRE L’HUMANITÉ ET L’ENVIRONNEMENT
209. La conscience de la gravité de la crise
culturelle et écologique doit se traduire par de nouvelles habitudes. Beaucoup
savent que le progrès actuel, tout comme la simple accumulation d’objets ou de
plaisirs, ne suffit pas à donner un sens ni de la joie au cœur humain, mais ils
ne se sentent pas capables de renoncer à ce que le marché leur offre. Dans les
pays qui devraient réaliser les plus grands changements d’habitudes de
consommation, les jeunes ont une nouvelle sensibilité écologique et un esprit
généreux, et certains d’entre eux luttent admirablement pour la défense de
l’environnement ; mais ils ont grandi dans un contexte de très grande
consommation et de bien-être qui rend difficile le développement d’autres habitudes.
C’est pourquoi nous sommes devant un défi éducatif.
210. L’éducation environnementale a progressivement
élargi le champ de ses objectifs. Si au commencement elle était très axée sur
l’information scientifique ainsi que sur la sensibilisation et la prévention de
risques environnementaux, à présent cette éducation tend à inclure une critique
des “mythes” de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence,
consumérisme, marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale ; elle
tend également à s’étendre aux différents niveaux de l’équilibre écologique :
au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau
naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L’éducation
environnementale devrait nous disposer à faire ce saut vers le Mystère, à
partir duquel une éthique écologique acquiert son sens le plus profond. Par
ailleurs, des éducateurs sont capables de repenser les itinéraires pédagogiques
d’une éthique écologique, de manière à faire grandir effectivement dans la
solidarité, dans la responsabilité et dans la protection fondée sur la
compassion.
211. Cependant, cette éducation ayant pour vocation de
créer une “citoyenneté écologique” se limite parfois à informer, et ne réussit
pas à développer des habitudes. L’existence de lois et de normes n’est pas
suffisante à long terme pour limiter les mauvais comportements, même si un
contrôle effectif existe. Pour que la norme juridique produise des effets
importants et durables, il est nécessaire que la plupart des membres de la
société l’aient acceptée grâce à des motivations appropriées, et réagissent à
partir d’un changement personnel. C’est seulement en cultivant de solides
vertus que le don de soi dans un engagement écologique est possible. Si une personne
a l’habitude de se couvrir un peu au lieu d’allumer le chauffage, alors que sa
situation économique lui permettrait de consommer et de dépenser plus, cela
suppose qu’elle a intégré des convictions et des sentiments favorables à la
préservation de l’environnement. Accomplir le devoir de sauvegarder la création
par de petites actions quotidiennes est très noble, et il est merveilleux que
l’éducation soit capable de les susciter jusqu’à en faire un style de vie.
L’éducation à la responsabilité environnementale peut encourager divers
comportements qui ont une incidence directe et importante sur la préservation
de l’environnement tels que : éviter l’usage de matière plastique et de papier,
réduire la consommation d’eau, trier les déchets, cuisiner seulement ce que
l’on pourra raisonnablement manger, traiter avec attention les autres êtres
vivants, utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre
plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles. Tout
cela fait partie d’une créativité généreuse et digne, qui révèle le meilleur de
l’être humain. Le fait de réutiliser quelque chose au lieu de le jeter
rapidement, parce qu’on est animé par de profondes motivations, peut être un
acte d’amour exprimant notre dignité.
212. Il ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas
changer le monde. Ces actions répandent dans la société un bien qui produit
toujours des fruits au-delà de ce que l’on peut constater, parce qu’elles
suscitent sur cette terre un bien qui tend à se répandre toujours, parfois de
façon invisible. En outre, le développement de ces comportements nous redonne
le sentiment de notre propre dignité, il nous porte à une plus grande
profondeur de vie, il nous permet de faire l’expérience du fait qu’il vaut la
peine de passer en ce monde.
213. Les milieux éducatifs sont divers : l’école, la
famille, les moyens de communication, la catéchèse et autres. Une bonne
éducation scolaire, dès le plus jeune âge, sème des graines qui peuvent
produire des effets tout au long d’une vie. Mais je veux souligner l’importance
centrale de la famille, parce qu’« elle est le lieu où la vie, don de Dieu,
peut être convenablement accueillie et protégée contre les nombreuses attaques
auxquelles elle est exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les
exigences d’une croissance humaine authentique. Contre ce qu’on appelle la
culture de la mort, la famille constitue le lieu de la culture de la vie ».[149]
Dans la famille, on cultive les premiers réflexes d’amour et de préservation de
la vie, comme par exemple l’utilisation correcte des choses, l’ordre et la
propreté, le respect pour l’écosystème local et la protection de tous les êtres
créés. La famille est le lieu de la formation intégrale, où se déroulent les
différents aspects, intimement reliés entre eux, de la maturation personnelle.
Dans la famille, on apprend à demander une permission avec respect, à dire
“merci” comme expression d’une juste évaluation des choses qu’on reçoit, à
dominer l’agressivité ou la voracité, et à demander pardon quand on cause un
dommage. Ces petits gestes de sincère courtoisie aident à construire une
culture de la vie partagée et du respect pour ce qui nous entoure.
214. Un effort de sensibilisation de la population
incombe à la politique et aux diverses associations. À l’Église également.
Toutes les communautés chrétiennes ont un rôle important à jouer dans cette éducation.
J’espère aussi que dans nos séminaires et maisons religieuses de formation, on
éduque à une austérité responsable, à la contemplation reconnaissante du monde,
à la protection de la fragilité des pauvres et de l’environnement. Étant donné
l’importance de ce qui est en jeu, de même que des institutions dotées de
pouvoir sont nécessaires pour sanctionner les attaques à l’environnement, nous
avons aussi besoin de nous contrôler et de nous éduquer les uns les autres.
215. Dans ce contexte, « il ne faut pas négliger la
relation qui existe entre une formation esthétique appropriée et la
préservation de l’environnement».[150]
Prêter attention à la beauté, et l’aimer, nous aide à sortir du pragmatisme
utilitariste. Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour
évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet
d’usage et d’abus sans scrupule. En même temps, si l’on veut obtenir des
changements profonds, il faut garder présent à l’esprit que les paradigmes de
la pensée influent réellement sur les comportements.
L’éducation sera inefficace, et ses efforts seront
vains, si elle n’essaie pas aussi de répandre un nouveau paradigme concernant
l’être humain, la vie, la société et la relation avec la nature. Autrement, le
paradigme consumériste, transmis par les moyens de communication sociale et les
engrenages efficaces du marché, continuera de progresser.
III. LA CONVERSION ÉCOLOGIQUE
216. La grande richesse de la spiritualité chrétienne,
générée par vingt siècles d’expériences personnelles et communautaires, offre
une belle contribution à la tentative de renouveler l’humanité. Je veux
proposer aux chrétiens quelques lignes d’une spiritualité écologique qui
trouvent leur origine dans des convictions de notre foi, car ce que nous
enseigne l’Évangile a des conséquences sur notre façon de penser, de sentir et
de vivre. Il ne s’agit pas de parler tant d’idées, mais surtout de motivations
qui naissent de la spiritualité pour alimenter la passion de la préservation du
monde. Il ne sera pas possible, en effet, de s’engager dans de grandes choses
seulement avec des doctrines, sans une mystique qui nous anime, sans « les
mobiles intérieurs qui poussent, motivent, encouragent et donnent sens à
l’action personnelle et communautaire».[151]
Nous devons reconnaître que, nous les chrétiens, nous n’avons pas toujours
recueilli et développé les richesses que Dieu a données à l’Église, où la
spiritualité n’est déconnectée ni de notre propre corps, ni de la nature, ni
des réalités de ce monde ; la spiritualité se vit plutôt avec celles-ci et en
elles, en communion avec tout ce qui nous entoure.
217. S’il est vrai que « les déserts extérieurs se
multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus
très grands »,[152]
la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure. Mais
nous devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés et qui prient,
ont l’habitude de se moquer des préoccupations pour l’environnement, avec
l’excuse du réalisme et du pragmatisme. D’autres sont passifs, ils ne se
décident pas à changer leurs habitudes et ils deviennent incohérents. Ils ont
donc besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir
toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations
avec le monde qui les entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de
Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas
quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne.
218. Pour proposer une relation saine avec la création
comme dimension de la conversion intégrale de la personne, souvenons-nous du
modèle de saint François d’Assise. Cela implique aussi de reconnaître ses
propres erreurs, péchés, vices ou négligences, et de se repentir de tout cœur,
de changer intérieurement. Les Évêques australiens ont su
exprimer la conversion en termes de réconciliation
avec la création : « Pour réaliser cette réconciliation, nous devons examiner
nos vies et reconnaître de quelle façon nous offensons la création de Dieu par
nos actions et notre incapacité d’agir. Nous devons faire l’expérience d’une
conversion, d’un changement du cœur ».[153]
219. Cependant, il ne suffit pas que chacun s’amende
pour dénouer une situation aussi complexe que celle qu’affronte le monde
actuel. Les individus isolés peuvent perdre leur capacité, ainsi que leur
liberté pour surmonter la logique de la raison instrumentale, et finir par être
à la merci d’un consumérisme sans éthique et sans dimension sociale ni
environnementale. On répond aux problèmes sociaux par des réseaux
communautaires, non par la simple somme de biens individuels : « Les exigences
de cette œuvre seront si immenses que les possibilités de l’initiative
individuelle et la coopération d’hommes formés selon les principes
individualistes ne pourront y répondre. Seule une autre attitude provoquera
l’union des forces et l’unité de réalisation nécessaires ».[154]
La conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable
est aussi une conversion communautaire.
220. Cette conversion suppose diverses attitudes qui
se conjuguent pour promouvoir une protection généreuse et pleine de tendresse.
En premier lieu, elle implique gratitude et gratuité, c’est-à-dire une
reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du Père, ce qui a pour
conséquence des attitudes gratuites de renoncement et des attitudes généreuses
même si personne ne les voit ou ne les reconnaît : « Que ta main gauche ignore
ce que fait ta main droite [...] et ton Père qui voit dans le secret, te le
rendra » (Mt 6, 3-4). Cette conversion implique aussi la conscience
amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les
autres êtres de l’univers une belle communion universelle. Pour le croyant, le
monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant
les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres. En outre, en
faisant croître les capacités spécifiques que Dieu lui a données, la conversion
écologique conduit le croyant à développer sa créativité et son enthousiasme,
pour affronter les drames du monde en s’offrant à Dieu « comme un sacrifice
vivant, saint et agréable » (Bm 12, 1). Il ne comprend pas sa
supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable,
mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une grave
responsabilité qui naît de sa foi.
221. Diverses convictions de notre foi développées au
début de cette Encyclique, aident à enrichir le sens de cette conversion, comme
la conscience que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message
à nous enseigner ; ou encore l’assurance que le Christ a assumé en lui-même ce
monde matériel et qu’à présent,
ressuscité, il habite au fond de chaque être, en
l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière ; et aussi la
conviction que Dieu a créé le monde en y inscrivant un ordre et un dynamisme
que l’être humain n’a pas le droit d’ignorer. Quand on lit dans l’Évangile que
Jésus parle des oiseaux, et dit qu’ « aucun d’eux n’est oublié au regard de Dieu
» (Lc 12, 6) : pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du mal ?
J’invite tous les chrétiens à expliciter cette dimension de leur conversion, en
permettant que la force et la lumière de la grâce reçue s’étendent aussi à leur
relation avec les autres créatures ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et
suscitent cette fraternité sublime avec toute la création, que saint François
d’Assise a vécue d’une manière si lumineuse.
IV. JOIE ET PAIX
222. La spiritualité chrétienne propose une autre
manière de comprendre la qualité de vie, et encourage un style de vie
prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les
choses sans être obsédé par la consommation. Il est important d’assimiler un
vieil enseignement, présent dans diverses traditions religieuses, et aussi dans
la Bible. Il s’agit de la conviction que “moins est plus”. En effet,
l’accumulation constante de possibilités de consommer distrait le cœur et
empêche d’évaluer chaque chose et chaque moment. En revanche, le fait d’être sereinement
présent à chaque réalité, aussi petite soit-elle, nous ouvre beaucoup plus de
possibilités de compréhension et d’épanouissement personnel. La spiritualité
chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir
avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour
apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre,
sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne
possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la
simple accumulation de plaisirs.
223. La sobriété, qui est vécue avec liberté et de
manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas
une basse intensité de vie mais tout le contraire ; car, en réalité ceux qui
jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer
ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience
de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque chose, en apprenant à entrer en
contact et en sachant jouir des choses les plus simples. Ils ont ainsi moins de
besoins insatisfaits, et sont moins fatigués et moins tourmentés. On peut vivre
intensément avec peu, surtout quand on est capable d’apprécier d’autres
plaisirs et qu’on trouve satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le
service, dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans
le contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir
limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi
disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie.
224. La sobriété et l’humilité n’ont pas bénéficié
d’un regard positif au cours du siècle dernier. Mais quand l’exercice d’une
vertu s’affaiblit d’une manière généralisée dans la vie personnelle et sociale,
cela finit par provoquer des déséquilibres multiples, y compris des
déséquilibres environnementaux. C’est pourquoi, il ne suffit plus de parler
seulement de l’intégrité des écosystèmes. Il faut oser parler de l’intégrité de
la vie humaine, de la nécessité d’encourager et de conjuguer toutes les grandes
valeurs. La disparition de l’humilité chez un être humain, enthousiasmé
malheureusement par la possibilité de tout dominer sans aucune limite, ne peut
que finir par porter préjudice à la société et à l’environnement. Il n’est pas
facile de développer cette saine humilité ni une sobriété heureuse si nous nous
rendons autonomes, si nous excluons Dieu de notre vie et que notre moi prend sa
place, si nous croyons que c’est notre propre subjectivité qui détermine ce qui
est bien ou ce qui est mauvais.
225. Par ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans
une sobriété heureuse, sans être en paix avec elle-même. La juste compréhension
de la spiritualité consiste en partie à amplifier ce que nous entendons par
paix, qui est beaucoup plus que l’absence de guerre. La paix intérieure des
personnes tient, dans une large mesure, de la préservation de l’écologie et du
bien commun, parce que, authentiquement vécue, elle se révèle dans un style de vie
équilibré joint à une capacité d’admiration qui mène à la profondeur de la vie.
La nature est pleine de mots d’amour, mais comment pourrons‑nous les écouter au
milieu du bruit constant, de la distraction permanente et anxieuse, ou du culte
de l’apparence ? Beaucoup de personnes font l’expérience d’un profond
déséquilibre qui les pousse à faire les choses à toute vitesse pour se sentir
occupées, dans une hâte constante qui, à son tour, les amène à renverser tout
ce qu’il y a autour d’eux. Cela a un impact sur la manière dont on traite
l’environnement. Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à
retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de
vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce
qui nous entoure, dont la présence « ne doit pas être fabriquée, mais
découverte, dévoilée».[155]
226. Nous parlons d’une attitude du cœur, qui vit tout
avec une attention sereine, qui sait être pleinement présent à quelqu’un sans
penser à ce qui vient après, qui se livre à tout moment comme un don divin qui
doit être pleinement vécu. Jésus nous enseignait cette attitude quand il nous
invitait à regarder les lys des champs et les oiseaux du ciel, ou quand en
présence d’un homme inquiet « il fixa sur lui son regard et l’aima » (Mc 10,
21). Il était pleinement présent à chaque être humain et à chaque créature, et
il nous a ainsi montré un chemin pour surmonter l’anxiété maladive qui nous
rend superficiels, agressifs et consommateurs effrénés.
227. S’arrêter pour rendre grâce à Dieu avant et après
les repas est une expression de cette attitude. Je propose aux croyants de
renouer avec cette belle habitude et de la vivre en profondeur. Ce moment de la
bénédiction, bien qu’il soit très bref, nous rappelle notre dépendance de Dieu
pour la vie, il fortifie notre sentiment de gratitude pour les dons de la création,
reconnaît ceux qui par leur travail fournissent ces biens, et renforce la
solidarité avec ceux qui sont le plus dans le besoin.
V. AMOUR CIVIL ET POLITIQUE
228. La préservation de la nature fait partie d’un
style de vie qui implique une capacité de cohabitation et de communion. Jésus
nous a rappelé que nous avons Dieu comme Père commun, ce qui fait de nous des
frères. L’amour fraternel ne peut être que gratuit, il ne peut jamais être une
rétribution pour ce qu’un autre réalise ni une avance pour ce que nous espérons
qu’il fera. C’est pourquoi, il est possible d’aimer les ennemis. Cette même
gratuité nous amène à aimer et à accepter le vent, le soleil ou les nuages,
bien qu’ils ne se soumettent pas à notre contrôle. Voilà pourquoi nous pouvons
parler d’une fraternité universelle.
229. Il faut reprendre conscience que nous avons
besoin les uns des autres, que nous avons une responsabilité vis-à-vis des
autres et du monde, que cela vaut la peine d’être bons et honnêtes. Depuis trop
longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en nous moquant de
l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté. L’heure est arrivée de
réaliser que cette joyeuse superficialité nous a peu servi. Cette destruction
de tout fondement de la vie sociale finit par nous opposer les uns aux autres,
chacun cherchant à préserver ses propres intérêts ; elle provoque l’émergence
de nouvelles formes de violence et de cruauté, et empêche le développement
d’une vraie culture de protection de l’environnement.
230. L’exemple de sainte Thérèse de Lisieux nous
invite à pratiquer la petite voie de l’amour, à ne pas perdre l’occasion d’un
mot aimable, d’un sourire, de n’importe quel petit geste qui sème paix et
amitié. Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par
lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de
l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation exacerbée est en même
temps le monde du mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes.
231. L’amour, fait de petits gestes d’attention
mutuelle, est aussi civil et politique, et il se manifeste dans toutes les
actions qui essaient de construire un monde meilleur. L’amour de la société et
l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de charité qui, non
seulement concerne les relations entre les individus mais aussi les «
macro-relations: rapports sociaux, économiques, politiques».[156]
C’est pourquoi, l’Église a proposé au monde l’idéal d’une « civilisation de
l’amour ».[157]
L’amour social est la clef d’un développement authentique : « Pour rendre la
société plus humaine, plus digne de la personne, il faut revaloriser l’amour
dans la vie sociale — au niveau politique, économique, culturel —, en en
faisant la norme constante et suprême de l’action ».[158]
Dans ce cadre, joint à l’importance des petits gestes quotidiens, l’amour social
nous pousse à penser aux grandes stratégies à même d’arrêter efficacement la
dégradation de l’environnement et d’encourager une culture de protection qui
imprègne toute la société. Celui qui reconnaît l’appel de Dieu à agir de
concert avec les autres dans ces dynamiques sociales doit se rappeler que cela
fait partie de sa spiritualité, que c’est un exercice de la charité, et que, de
cette façon, il mûrit et il se sanctifie.
232. Tout le monde n’est pas appelé à travailler
directement en politique ; mais au sein de la société germe une variété
innombrable d’associations qui interviennent en faveur du bien commun en
préservant l’environnement naturel et urbain. Par exemple, elles s’occupent
d’un lieu public (un édifice, une fontaine, un monument abandonné, un paysage,
une place) pour protéger, pour assainir, pour améliorer ou pour embellir
quelque chose qui appartient à tous. Autour d’elles, se développent ou se
reforment des liens, et un nouveau tissu social local surgit. Une communauté se
libère ainsi de l’indifférence consumériste. Cela implique la culture d’une
identité commune, d’une histoire qui se conserve et se transmet. De cette
façon, le monde et la qualité de vie des plus pauvres sont préservés, grâce à
un sens solidaire qui est en même temps la conscience d’habiter une maison
commune que Dieu nous a prêtée. Ces actions communautaires, quand elles
expriment un amour qui se livre, peuvent devenir des expériences spirituelles
intenses.
VI. LES SIGNES SACRAMENTAUX
ET LE REPOS POUR CÉLÉBRER
ET LE REPOS POUR CÉLÉBRER
233. L’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout
entier. Il y a donc une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la
rosée, dans le visage du pauvre. L’idéal n’est pas seulement de passer de
l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu dans l’âme, mais
aussi d’arriver à le trouver en toute chose[159],
comme l’enseignait saint Bonaventure : « La contemplation est d’autant plus
éminente que l’homme sent en lui-même l’effet de la grâce divine et qu’il sait
trouver Dieu dans les créatures extérieures ».[160]
234. Saint Jean de la Croix enseignait que ce qu’il y
a de bon dans les choses et dans les expériences du monde « se rencontre[nt] en
Dieu éminemment et à l’infini, ou pour mieux dire, chacune de ces excellences
est Dieu même, comme toutes ces excellences réunies sont Dieu même »[161].
Non parce que les choses limitées du monde seraient réellement divines, mais
parce que le mystique fait l’expérience de la connexion intime qui existe entre
Dieu et tous les êtres, et ainsi « il sent que Dieu est toutes les choses »[162].
S’il admire la grandeur d’une montagne, il ne peut pas la séparer de Dieu, et
il perçoit que cette admiration intérieure qu’il vit doit reposer dans le
Seigneur : « Les montagnes sont élevées ; elles sont fertiles, spacieuses,
belles, gracieuses, fleuries et embaumées. Mon Bien-Aimé est pour moi ces
montagnes. Les vallons solitaires sont paisibles, agréables, frais et ombragés.
L’eau pure y coule en abondance. Ils charment et recréent les sens par leur
végétation variée et par les chants mélodieux des oiseaux qui les habitent. Ils
procurent la fraîcheur et le repos par la solitude et le silence qui y règnent.
Mon Bien-Aimé est pour moi ces valons ».[163]
235. Les Sacrements sont un mode privilégié de la
manière dont la nature est assumée par Dieu et devient médiation de la vie
surnaturelle. À travers le culte, nous sommes invités à embrasser le monde à un
niveau différent. L’eau, l’huile, le feu et les couleurs sont assumés avec
toute leur force symbolique et s’incorporent à la louange. La main qui bénit est
instrument de l’amour de Dieu et reflet de la proximité de Jésus-Christ qui est
venu nous accompagner sur le chemin de la vie. L’eau qui se répand sur le corps
de l’enfant baptisé est signe de vie nouvelle. Nous ne nous évadons pas du
monde, et nous ne nions pas la nature quand nous voulons rencontrer Dieu. Cela
peut se percevoir particulièrement dans la spiritualité chrétienne orientale :
« La beauté, qui est l’un des termes privilégiés en Orient pour exprimer la
divine harmonie et le modèle de l’humanité transfigurée, se révèle partout :
dans les formes du sanctuaire, dans les sons, dans les couleurs, dans les
lumières, dans les parfums».[164]
Selon l’expérience chrétienne, toutes les créatures de l’univers matériel
trouvent leur vrai sens dans le Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu a
intégré dans sa personne une partie de l’univers matériel, où il a introduit un
germe de transformation définitive : « Le christianisme ne refuse pas la
matière, la corporéité, qui est au contraire pleinement valorisée dans l’acte
liturgique, dans lequel le corps humain montre sa nature intime de temple de
l’Esprit et parvient à s’unir au Seigneur Jésus, lui aussi fait corps pour le
salut du monde ».[165]
236. Dans l’Eucharistie, la création trouve sa plus
grande élévation. La grâce, qui tend à se manifester d’une manière sensible,
atteint une expression extraordinaire quand Dieu fait homme, se fait nourriture
pour sa créature. Le Seigneur, au sommet du mystère de l’Incarnation, a voulu
rejoindre notre intimité à travers un fragment de matière. Non d’en haut, mais
de l’intérieur, pour que nous puissions le rencontrer dans notre propre monde.
Dans l’Eucharistie la plénitude est déjà réalisée ; c’est le centre vital de
l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils
incarné, présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu. En
effet, l’Eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique : « Oui, cosmique!
Car, même lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de campagne,
l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde ».[166]
L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la
création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui dans une
joyeuse et pleine adoration : dans le Pain eucharistique, « la création est
tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le
Créateur lui-même ».[167]
C’est pourquoi, l’Eucharistie est aussi source de lumière et de motivation pour
nos préoccupations concernant l’environnement, et elle nous invite à être
gardiens de toute la création.
237. Le dimanche, la participation à l’Eucharistie a
une importance spéciale. Ce jour, comme le sabbat juif, est offert comme le
jour de la purification des relations de l’être humain avec Dieu, avec
lui-même, avec les autres et avec le monde. Le dimanche est le jour de la
résurrection, le “premier jour” de la nouvelle création, dont les prémices sont
l’humanité ressuscitée du Seigneur, gage de la transfiguration finale de toute
la réalité créée. En outre, ce jour annonce « le repos éternel de l’homme en
Dieu »[168].
De cette façon, la spiritualité chrétienne intègre la valeur du loisir et de la
fête. L’être humain tend à réduire le repos contemplatif au domaine de
l’improductif ou de l’inutile, en oubliant qu’ainsi il retire à l’œuvre qu’il
réalise le plus important : son sens. Nous sommes appelés à inclure dans notre
agir une dimension réceptive et gratuite, qui est différente d’une simple
inactivité. Il s’agit d’une autre manière d’agir qui fait partie de notre
essence. Ainsi, l’action humaine est préservée non seulement de l’activisme
vide, mais aussi de la passion vorace et de l’isolement de la conscience qui
amène à poursuivre uniquement le bénéfice personnel. La loi du repos
hebdomadaire imposait de chômer le septième jour « afin que se reposent ton
bœuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que
l’étranger » (Ex 23, 12). En effet, le repos est un élargissement du
regard qui permet de reconnaître à nouveau les droits des autres. Ainsi, le
jour du repos, dont l’Eucharistie est le centre, répand sa lumière sur la
semaine tout entière et il nous pousse à intérioriser la protection de la
nature et des pauvres.
VII. LA TRINITÉ ET LA RELATION ENTRE LES CRÉATURES
238. Le Père est l’ultime source de tout, fondement
aimant et communicatif de tout ce qui existe. Le Fils, qui le reflète, et par
qui tout a été créé, s’est uni à cette terre quand il a été formé dans le sein
de Marie. L’Esprit, lien infini d’amour, est intimement présent au cœur de
l’univers en l’animant et en suscitant de nouveaux chemins. Le monde a été créé
par les trois Personnes comme un unique principe divin, mais chacune d’elles
réalise cette œuvre commune selon ses propriétés personnelles. C’est pourquoi «
lorsque [...] nous contemplons avec admiration l’univers dans sa grandeur et sa
beauté, nous devons louer la Trinité tout entière ».[169]
239. Pour les chrétiens, croire en un Dieu qui est un
et communion trinitaire, incite à penser que toute la réalité contient en son
sein une marque proprement trinitaire. Saint Bonaventure en est arrivé à
affirmer que, avant le péché, l’être humain pouvait découvrir comment chaque
créature « atteste que Dieu est trine ». Le reflet de la Trinité pouvait se
reconnaître dans la nature « quand ce livre n’était pas obscur pour l’homme et
que le regard de l’homme n’avait pas été troublé ».[170]
Le saint franciscain nous enseigne que toute créature porte en soi une
structure proprement trinitaire, si réelle qu’elle pourrait être
spontanément contemplée si le regard de l’être humain n’était pas limité,
obscur et fragile. Il nous indique ainsi le défi d’essayer de lire la réalité
avec une clé trinitaire.
240. Les Personnes divines sont des relations subsistantes,
et le monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations. Les
créatures tendent vers Dieu, et c’est le propre de tout être vivant de tendre à
son tour vers autre chose, de telle manière qu’au sein de l’univers nous
pouvons trouver d’innombrables relations constantes qui s’entrelacent
secrètement[171].
Cela nous invite non seulement à admirer les connexions multiples qui existent
entre les créatures, mais encore à découvrir une clé de notre propre
épanouissement. En effet, plus la personne humaine grandit, plus elle mûrit et
plus elle se sanctifie à mesure qu’elle entre en relation, quand elle sort
d’elle-même pour vivre en communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes
les créatures. Elle assume ainsi dans sa propre existence ce dynamisme
trinitaire que Dieu a imprimé en elle depuis sa création. Tout est lié, et cela
nous invite à mûrir une spiritualité de la solidarité globale qui jaillit du
mystère de la Trinité.
VIII. LA REINE DE TOUTE LA CRÉATION
241. Marie, la Mère qui a pris soin de Jésus, prend
soin désormais de ce monde blessé, avec affection et douleur maternelles.
Comme, le cœur transpercé, elle a pleuré la mort de Jésus, maintenant elle
compatit à la souffrance des pauvres crucifiés et des créatures de ce monde
saccagées par le pouvoir humain. Totalement transfigurée, elle vit avec Jésus,
et toutes les créatures chantent sa beauté. Elle est la Femme « enveloppée de
soleil, la lune est sous ses pieds, et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap
12, 1). Élevée au ciel, elle est Mère et Reine de toute la création. Dans
son corps glorifié, avec le Christ ressuscité, une partie de la création a
atteint toute la plénitude de sa propre beauté. Non seulement elle garde dans
son cœur toute la vie de Jésus qu’elle conservait fidèlement (cf. Lc 2,
51.51), mais elle comprend aussi maintenant le sens de toutes choses. C’est
pourquoi, nous pouvons lui demander de nous aider à regarder ce monde avec des
yeux plus avisés.
242. A côté d’elle, dans la Sainte Famille de
Nazareth, se détache la figure de saint Joseph. Il a pris soin de Marie et de
Jésus ; il les a défendus par son travail et par sa généreuse présence, et il
les a libérés de la violence des injustes en les conduisant en Égypte. Dans
l’Évangile, il apparaît comme un homme juste, travailleur, fort. Mais de sa
figure, émane aussi une grande tendresse, qui n’est pas le propre des faibles, mais
le propre de ceux qui sont vraiment forts, attentifs à la réalité pour aimer et
pour servir humblement. Voilà pourquoi il a été déclaré protecteur de l’Église
universelle. Il peut aussi nous enseigner à protéger, il peut nous motiver à
travailler avec générosité et tendresse pour prendre soin de ce monde que Dieu
nous a confié.
IX. AU-DELÀ DU SOLEIL
243. A la fin, nous nous trouverons face à face avec
la beauté infinie de Dieu (cf. 1 Co 13, 12) et nous pourrons lire, avec
une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera avec nous à la
plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la
nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici,
je fais l’univers nouveau » (Ap 21, 5). La vie éternelle sera un
émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière
lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres
définitivement libérés.
244. Entre-temps, nous nous unissons pour prendre en
charge cette maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon
en elle sera assumé dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les créatures,
nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que « si le monde a un
principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé, il cherche celui qui lui
a donné un commencement, celui qui est son Créateur ».[172]
Marchons en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète
ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance.
245. Dieu qui nous appelle à un engagement généreux,
et à tout donner, nous offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons
besoin pour aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui
nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous
laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son
amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins. Loué soit-il.
* * *
246. Après cette longue réflexion, à la fois joyeuse
et dramatique, je propose deux prières : l’une que nous pourrons partager, nous
tous qui croyons en un Dieu Créateur Tout-Puissant ; et l’autre pour que nous,
chrétiens, nous sachions assumer les engagements que nous propose l’Évangile de
Jésus, en faveur de la création.
Prière pour notre terre
Dieu Tout-Puissant
qui es présent dans tout l’univers
et dans la plus petite de tes créatures,
Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe,
répands sur nous la force de ton amour pour que
nous protégions la vie et la beauté.
Inonde-nous de paix, pour que nous vivions
comme frères et sœurs
sans causer de dommages à personne.
Ô Dieu des pauvres,
aide-nous à secourir les abandonnés
et les oubliés de cette terre
qui valent tant à tes yeux.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la beauté
et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque chose,
à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions,
dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.
qui es présent dans tout l’univers
et dans la plus petite de tes créatures,
Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe,
répands sur nous la force de ton amour pour que
nous protégions la vie et la beauté.
Inonde-nous de paix, pour que nous vivions
comme frères et sœurs
sans causer de dommages à personne.
Ô Dieu des pauvres,
aide-nous à secourir les abandonnés
et les oubliés de cette terre
qui valent tant à tes yeux.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la beauté
et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque chose,
à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions,
dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.
Prière chrétienne avec la création
Nous te louons, Père, avec toutes tes créatures,
qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence
comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.
qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence
comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.
Fils de Dieu, Jésus,
toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie,
tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature
avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.
toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie,
tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature
avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.
Esprit-Saint, qui par ta lumière
orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos cœurs
pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.
orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos cœurs
pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.
Ô Dieu, Un et Trine,
communauté sublime d’amour infini,
apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers,
où tout nous parle de toi.
Éveille notre louange et notre gratitude
pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce
de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous
notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection
pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.
Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent
pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,
aiment le bien commun, promeuvent les faibles,
et prennent soin de ce monde que nous habitons.
Les pauvres et la terre implorent :
Seigneur, saisis-nous
par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne
ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.
communauté sublime d’amour infini,
apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers,
où tout nous parle de toi.
Éveille notre louange et notre gratitude
pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce
de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous
notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection
pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.
Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent
pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,
aiment le bien commun, promeuvent les faibles,
et prennent soin de ce monde que nous habitons.
Les pauvres et la terre implorent :
Seigneur, saisis-nous
par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne
ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 24 mai 2015,
solennité de Pentecôte, en la troisième année de mon Pontificat.
Franciscus
[3] Discours à l’occasion du 25ème anniversaire
de la FAO (16 novembre 1970),
n. 4 : AAS 62 (1970), 833.
[5] Cf. Catéchèse (17 janvier
2001), n. 4 : Insegnamenti 24/1 (2001), 179 ; L´Osservatore
Romano, éd. française (par la suite ORf) (23 janvier 2001), n. 4, p.
12.
[8] Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre
1987), n. 34 : AAS 80 (1988), 559.
[10] Discours au Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, (8 janvier 2007) : AAS 99 (2007), n. 73.
[15] Discours à Santa Barbara, California (8
novembre 1997) ; cf. John Chryssavgis, On Earth as in Heaven: Ecological
Vision and Iniciatives of Ecumenical Patriarch Bartholomew, Bronx, New York
2012.
[18] Discours au I er Sommet de Halki : «Global
Responsibility and Ecological Sustainability: Closing Remarks», Istanbul (20 juin 2012).
[22] Conférence des évêques catholiques
d'Afrique du Sud, Pastoral Statement on the Environmental Crisis (5
septembre 1999).
[24] Vème Conférence générale
de l'épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida (29
juin 2007), n. 86.
[25] Conférence des évêques catholiques
des Philippines, Lettre pastorale What is Happening to our Beautiful Land? (29
janvier 1988).
[26] Conférence épiscopale bolivienne, Lettre
pastorale sur l’environnement et le développement humain en Bolivie El
universo, don de Dios para la vida (2012), 17.
[27] Cf. Conférence épiscopale allemande
: Commission pour les affaires sociales, Der Klimawandel: Brennpunkt
globaler, intergenerationeller und ökologischer Gerechtigkeit (septembre
2006), 28-30.
[31] Conférence des évêques catholiques
des États-Unis d'Amérique, Global Climate Change: A Plea for Dialogue,
Prudence and the Common Good (15 juin 2001).
[32] Vème Conférence générale
de l'épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida (29
juin 2007), 471.
[35] Id., Catéchèse (17 janvier
2001), 3 : Insegnamenti 24/1 (2001) ; ORf (23 janvier
2001) n. 4, p. 12.
[38] Cf. Angelus à Osnabrück
(Allemagne) avec des personnes vivant des situations de handicap (16 novembre
1980) : Insegnamenti 3/2 (1980), 1232 ; ORf (18 novembre
1980), n. 47, p. 3.
[39] Benoît XVI, Homélie de la messe inaugurale du ministère pétrinien (24 avril 2005) : AAS 97 (2005), 711.
[42] Conférence épiscopale allemande, Zukunft
der Schöpfung – Zukunft der Menschheit. Erklärung
der Deutschen Bischofskonferen.Z .Zu Fragen der Umwelt und der
Energieversorgung (1980), II, 2.
[49] Le Catéchisme explique que Dieu a
voulu créer un monde en route vers sa perfection ultime, et que ceci implique
la présence de l’imperfection et du mal physique : cf. Catéchisme de l’Eglise
Catholique, n. 310.
[50] Cf. Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 36.
[53] L’apport de P. Teilhard de Chardin
se situe dans cette perspective ; cf. Paul VI, Discours dans un
établissement de chimie pharmaceutique (24 février 1966) : Insegnamenti 4
(1966), 992-993 ; Jean-Paul II, Lettre au Révérend P. George V. Coyne (1er
juin 1988) : Insegnamenti 11/2 (1988), 1715 ; Benoît XVI, Homélie pour la célébration des Vêpres à Aoste (24 juillet 2009) : Insegnamenti 5/2 (2009),
60.
[55] Conférence des évêques catholiques
du Canada : Commission des affaires sociales, Lettre pastorale sur l’Impératif
écologique chrétien (4 octobre 2003), 1.
[56] Conférence des évêques du Japon, Reverence
for Life. A Message for the Twenty-First Century (janvier 2001), n. 89.
[70] Conférence de l’Épiscopat de la
République Dominicaine, Carta pastoral sobre la relación del hombre con la
naturaleza, (21 janvier 1987).
[74] Discours aux indigènes et paysans du Mexique, Cuilapán (29 janvier 1979), n. 6 : AAS 71
(1979), 209.
[75] Homélie de la messe pour les
agriculteurs à Recife, Brésil (7 juillet 1980), n. 4 : AAS 72
(1980), 926.
[77] Conférence épiscopale
paraguayenne, Lettre pastorale El campesino paraguayo y la tierra (12
juin 1983), n. 2, 4, d.
[78] Conférence épiscopale de Nouvelle
Zélande, Statement on Environmental Issues, Wellington (1er septembre
2006).
[80] Pour cette raison saint Justin a pu
parlé de « semences du Verbe » dans le monde : cf. II Apologia 8,
1-2 ; 13, 3-6 : PG 6, 457-458 ; 467.
[81] Jean-Paul II, Discours aux
représentants des hommes de la science, de la culture et des hautes études à
l’Université des Nations-Unies, Hiroshima (25 février 1981), n. 3 : AAS 73
(1981), 422.
[83] Romano Guardini, Das Ende der
Neuzeit, Würzburg 91965, p. 87 (édition française : La fin
des temps modernes, Paris 1952, p. 92, par la suite éd. fr.).
[94] Cf. Déclaration Love for
creation. An Asian Response to the Ecological Crisis, Colloque organisé par
la Fédération des Conférences Épiscopales d’Asie, Tagaytay (31 janvier – 5
février 1993), 3.3.2.
[98] Cf. Vincent de Lerins, Commonitorium
primumm, chap. 23 : PL 50, 668 : « Ut annis scilicet consolidetur,
dilatetur tempore, sublimetur aetate ».
[100] Conc. Œcuménique Vat. II, Const.
past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le
monde de ce temps, n. 63.
[110] Discours à l’Académie Pontificale des Sciences (3 octobre 1981), n. 3 : Insegnamenti 4/2
(1981), 333.
[112] Jean-Paul II, Discours à la 35ème Assemblée Générale de
l’Association Médicale Mondiale (29
octobre 1983), n. 6 : AAS 76 (1984), 394.
[113] Conférence épiscopale d’Argentine :
Commission de Pastorale sociale, Una tierra para todos (juin 2005),
19.
[117] Certains auteurs ont montré les
valeurs qui souvent se vivent, par exemple dans les “villas”, bidonvilles ou
favelas de l’Amérique Latine : cf. Juan Carlos Scannone, La irrupción del
pobre y la logica de la gratuidad, dans : Juan Carlos Scannone y Marcelo
Perine (edd.), Irrupción del pobre y quehacer filosófico. Hacia una
nueva racionalidad, Buenos Aires 1993, p. 225-230.
[118] Conseil Pontifical « Justice et
Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 482.
[122] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium
et Spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 26.
[124] Conférence épiscopale
portugaise, Lettre pastorale Responsabilidade solidária pelo bem comum (15
septembre 2003), 20.
[127] Conférence des évêques de Bolivie,
Lettre pastorale sur l’environnement et le développement humain en Bolivie El
universo, don de Dios para la vida (2012), 86.
[128] Conseil Pontifical « Justice et
Paix », Energia, justicia y paz, n. IV, 1, Cité du Vatican (2013),
p. 57.
[131] Conseil pontifical « Justice
et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 469.
[133] Cf. Conférence de l'Épiscopat
mexicain : Coommission de la Pastorale sociale, Jesucristo, vida y esperanza
de los indígenas y campesinos (14 janvier 2008).
[134] CConseil pontifical « Justice
et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 470.
[141] Cf. Lett. enc. Lumen fidei (29 juin 2013), n. 34 : AAS 105
(2013), 577 : « La lumière de la foi, dans la mesure où elle est unie à la
vérité de l’amour, n’est pas étrangère au monde matériel, car l’amour se vit
toujours corps et âme ; la lumière de la foi est une lumière incarnée, qui
procède de la vie lumineuse de Jésus. Elle éclaire aussi la matière, se fie à
son ordre, reconnaît qu’en elle s’ouvre un chemin d’harmonie et de
compréhension toujours plus large. Le regard de la science tire ainsi profit de
la foi : cela invite le chercheur à rester ouvert à la réalité, dans toute sa
richesse inépuisable. La foi réveille le sens critique dans la mesure où elle
empêche la recherche de se complaire dans ses formules et l’aide à comprendre
que la nature est toujours plus grande. En invitant à l’émerveillement devant
le mystère du créé, la foi élargit les horizons de la raison pour mieux
éclairer le monde qui s’ouvre à la recherche scientifique ».
[144] Romano Guardini, Das Ende der
Neuzeit, Würzburg 91965, p. 66-67 (éd. fr. : La fin des temps
modernes, Paris 1952, p. 71-72).
[152] Benoît XVI, Homélie pour l’inauguration solennelle
du ministère pétrinien (24 avril 2005)
: AAS 97 (2005), 710.
[153] Conférence des évêques catholiques
d’Australie, A New Earth – The Environmental Challenge, Canberra (2002).
[158] Conseil Pontifical « JustiCe et
Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 582.
[159] Un maître spirituel, Alî
al-Khawwâç, à partir de sa propre expérience, soulignait aussi la nécessité de
ne pas trop séparer les créatures du monde de l’expérience intérieure de Dieu.
Il affirmait : « Il ne faut donc pas blâmer de parti pris les gens de chercher
l’extase dans la musique et la poésie. Il y a un “secret” subtil dans chacun
des mouvements et des sons de ce monde. Les initiés arrivent à saisir ce que
disent le vent qui souffle, les arbres qui se penchent, l’eau qui coule, les
mouches qui bourdonnent, les portes qui grincent, le chant des oiseaux, le
pincement des cordes, les sifflement de la flûte, le soupir des malades, le
gémissement de l’affligé.... », Eva De Vitray-Meyerovitch [éd.], Anthologie
du soufisme, Paris 1978, p. 200.
[167] Benoît XVI, Homélie à l’occasion de la Messe du Corpus Domini (15 juin 2006) : AAS 98 (2006), 513.
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Libreria Editrice Vaticana
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