lundi 26 juillet 2021

Un vibrant hommage de Mgr l’Evêque Julien ANDAVO Mbia d’Isiro-Niangara à l’Eminence Laurent Cardinal MONSENGWO

Il lui adresse le mot en ces termes au jour-même de ses obsèques :

Chère Eminence Laurent Cardinal Monsengwo Pasinya,

Votre présent départ vers la Maison du Père m’offre une capitale opportunité : je voudrais en profiter pour poser un acte de portée sublime à votre adresse. Je me dois ici en effet de faire mention de ces saisissantes et inoubliables pages de notre passé commun. En effet,  en passant par des moments capitaux, ce dernier a pu, de fait, sceller entre Vous et moi un lien de fraternité indestructible.

Pour un meilleur déploiement de cette réminiscence, il importe de commencer par relever en introduction une série de regroupements d’années. Des regroupements dont l’ample exposé d’explicitation ci-dessus comporte une évocation des circonstances typiques : celles-ci en effet sont en mesure de mieux mettre en lumière vos significatifs actes de bienfaisance à mon endroit. Lesdits regroupements d’années se présentent comme suit : 1978-1985, 1995-2001, 2001-2003, et 2003-2021.

A.   1978 – 1985

Les années 1978-1985 déterminent la dernière phase de ma préparation à l’ordination sacerdotale. Cette préparation a lieu à Kinshasa, la Capitale nationale. Notre groupe formait alors une entité de sept diacres, provenant tous du Grand Séminaire Saint Pie X de Murhesa/Bukavu.

Allant un peu plus en avant avec l’évocation de ce contexte général, il importe de souligner ici qu’un dessein animait unanimement entre autres nos Evêques provinciaux : ils avaient décidé d’accélérer notre préparation, faisant de celle-ci une formation des formateurs. L’objectif poursuivi était d’enrichir le personnel qui gouvernait et gouvernerait nos Grands Séminaires.

En ce qui me concerne, la succession d’exercices se présenta comme suit. Bac Unique : 1979-1980 : Licence I : 1980-81 ; insertion d’une période pour enquête préparatoire de la rédaction du Mémoire final, couplée d’assouvissement du besoin d’expérience pastorale : 1981-1982 ; Licence II/finale : 1982-1983. Je vivais cette ultime année d’études en compagnie d’un confrère provenant du diocèse de Buta : le regretté Abbé Gilbert NGBALO. Au niveau institutionnel, enfin, c’est en l’année 1982-1983 que démarrait le fonctionnement effectif du Séminaire universitaire Saint-Jean Paul II (SUJPL). Tel est le contexte immédiat mettant en scène l’un et l’autre de nous deux.

Les activités au sein du SUJPL se déroulaient moyennant le pilotage d’un trio agents. Celui-ci se composait de Recteur, Animateur (Directeur) Spirituel et Econome de la maison. La situation socio-financière était loin de poser problème. L’unique difficulté ressentie avec acuité par la communauté de Séminaristes résidait dans les difficultés de gestion du domaine économique. Celles-ci provoquèrent une crise aiguë dans le rang des Séminaristes. Ces derniers en arrivèrent à s’autoriser des tapages très compromettants vis-à-vis de l’avenir de l’institution .

Mis au défi de trouver une issue salutaire à ladite crise aiguë et assumant votre responsabilité de CA, vous, Eminence, eûtes à manœuvrer avec une admirable maîtrise.

D’une part, la crise fut en bref temps surmontée, et sans cassure. D’autre part, vous voici faire preuve d’une touchante sympathie à mon égard. En effet, après consultation mon Evêque Mgr Amboise UMA – d’heureuse mémoire – incognito, vous avez jugé bon de faire confiance à mon indigne personne ! Comment ? En me nommant Econome du SUJPL ! Ce à quoi je ne m’attendais nullement. Je n’avais aucune expérience dans la gestion socio-économique de pareille institution. Mon unique atout, celui qui a pu certainement prévaloir dans votre chef, était uniquement celui d’avoir traversé la crise en cause de bout en bout.

C’est précisément cette prédisposition positive à mon égard qui mérite ici d’être saluée. Et elle ne fut pas démentie par la suite. N’ayant aucun autre choix que d’accepter la nomination, je parvins à tirer mon épingle de jeu. En me débrouillant entre autres par la stratégie d’associer étroitement les Séminaristes dans le pilotage des affaires, je réussis à gagner le pari. Au point de mériter par la suite le doublement du mandat d’économe. N’eût été cette autre résolution de mon Evêque : celui-ci prit la décision de toquer à la porte de l’Université helvétique de Fribourg, afin de me donner d’initier et parachever mon troisième cycle théologique. Ici, je soulignerais enfin en passant, et pour la petite histoire, l’un des indices de l’aboutissement heureux évoqué : je fis partie de son trio dirigeant, qui octroya l’appellation Saint Jean-Paul II audit SU.

B.   1995 – 2001

Cette deuxième détermination temporelle coïncidait avec la fin de mes années d’études doctorales à l’Université de Fribourg. Ma thèse était déjà défendue. Il restait uniquement à mettre la dernière main aux correctifs précédant la publication de l’épreuve, condition sine qua non de pouvoir jouir du titre en vue. C’est dans ces entre-faits que vous alliez en profiter pour témoigner une nouvelle sympathie à mon égard. C’était l’époque à laquelle vous présidiez l’Assemblée Episcopale Provinciale de Kisangani. Cette sympathie se manifesta dans un autre contexte précis.

Vous, prenant en main votre responsabilité, avez eu à me téléphoner plus d’une fois, pour raviver en ma conscience le devoir de la parole donnée. Effectivement j’avais auparavant fermement promis de m’en retourner au pays aussitôt finies mes études. Car il le fallait bien : m’attendait au Theologicum de Bunia la mission d’encadrer nos jeunes aspirants à la prêtrise où j’arriverais le 11 novembre 1995. Et c’était le démarrage de la mission confiée.

C.   2001 – 2003

Cette avant-dernière phase couvre l’espace de temps allant de ma présence à la tête du Philosophicum de Kisangani jusqu’à la fin de cette mission. Les phases marquantes de cette période s’élèvent à deux : mon choix comme Recteur de l’institution et l’élection censée me conduire à l’actuelle responsabilité d’évêque. Ici encore, dans l’un et l’autre cas, Votre Eminence a été à l’œuvre avec la dextérité dont elle avait fait montre.

En effet, l’ASSEPKIS, pour une grave raison avait été amenée à fermer ledit Grand Séminaire, avec l’objectif de le voir redémarrer par la suite muni d’un complet renouvellement au niveau tant d’encadreurs que de Séminaristes. C’est encore à vous, Eminence, qu’incombait la direction de cet état de choses. Comment cette issue fut trouvée ?

Sous votre conduite, le choix de l’ASSEPKIS tomba sur ma personne. Je devais quitter mon initiale mission d’encadreur au Théologat Saint-Cyprien de Bunia, pour celle de Recteur au Philosophat Saint-Augustin de Kisangani. Au départ, d’ailleurs, il fallait coupler cette mission d’avec celle de gestion économique de la maison. Une preuve supplémentaire de la confiance totale du corps épiscopal provincial en mon chef. Et Dieu aidant, l’aventure fut concluante jusqu’à mon choix comme Evêque d’Isiro-Niangara, ainsi nommé Evêque le 1er février par Sa Sainteté Jean-Paul II ; et ordonné tel le 19 mars 2003.


En ce qui concerne le choix qui fit de moi Evêque d’Isiro-Niangara, il plut à Sa Sainteté le pape Jean-Paul II de passer par votre canal, Chère Eminence. Vue de mon côté, l’opération s’avérait tout à fait délicate quant à l’impératif du secret pontifical d’avant la publication de l’élection. La complication venait surtout du fait qu’on en était encore en plein déroulement de l’année académique 2002-2003. Mais vous réussirez à négocier le virage. Je serai ainsi nommé Evêque le 1er février ; et ordonné tel le 19 mars 2003.

D.   2003 – 2021

Avec cette dernière détermination de temps, je cherche à épingler trois des épisodes marquants de la mission épiscopale me confiée. C’était toujours des scènes qui entouraient autant vous, chère Eminence, que moi-même.

On peut même dire qu’un dénominateur commun unissait les trois épisodes : le contexte constitué par notre commun ministère épiscopal, avec l’ajout d’une nouvelle ambiance marquant chaque étape.

Par ailleurs, je me permets, dans les lignes qui suivent, d’inverser l’ordre chronologique des événements. La raison en est la croissance crescendo en éclat de ces derniers.

Conformément à cet ordre d’idées, vont être évoqués tour à tour ceci : nos côtoiements l’un l’autre lors d’assemblées épiscopales ; la Solennité Jubilaire « isiroise » de cinquante ans du Martyre de la Bienheureuse Anuarite Nengapeta ; et mon ordination épiscopale également à Isiro.

a.     De côtoiements d’assemblées épiscopales

Au niveau tant provincial que national, nos assemblées épiscopales constituent d’intenses moments de fraternisation, les occasions de grandes retrouvailles. On prie ensemble ; on travaille ensemble, en partageant les soucis les uns des autres. Ceci s’effectue à tous les échelons : en petits comme en grands cercles. C’est également le temps d’échanges de petits gestes d’amitié réconfortants.

C’est ce dernier aspect qui mérite d’être relevé dans le cadre du présent mot d’adresse. Comment avons-nous alors eu à y vivre cet état de choses, entre nous, vous, chère Eminence et moi-même ?

Nous avons pu tout simplement nous inspirer du comportement même de Notre Seigneur Jésus Christ placé dans son entourage humain. En effet, tout en prêchant et en vivant la fraternité universelle, Jésus Christ ne s’empêchait nullement des liens d’attachement particulier. L’on peut ici penser au cas de son lien d’amitié avec la famille de Lazare et ses deux sœurs, ainsi qu’à sa liaison bien connue au Disciple Jean

C’est dire que dans le grand partage des joies et peines entre confrères Evêques, nous ne manquions jamais entre nous, Vous et moi, de gestes simples de compagnonnage ou amitié. Ce pouvait être ne serait-ce que et l’un vis-à-vis de l’autre notamment : un sourire rayonnant, un regard dynamisant, un mot réconfortant… Or sur ce dernier plan, nous connaissant l’un l’autre fervents pratiquants de la langue de Goethe, chacun commençait presque toujours à lancer à l’autre la question : « Wie geht es Dir ? » Et ce dernier répondait aussitôt : « Mir geht es gut » (Comment vas-tu ? ça va bien !). C’est dire, bref, que, vraiment, votre actuel départ vers le Père céleste crée dans mon chef un immense vide.

b.     Du Jubilé d’Or de la Bienheureuse Anuarite

Si l’identique ambiance de notre commun ministère épiscopal reçoit ici un plus en éclat, c’est tout simplement du fait qu’elle remonte à la circonstance de pèlerinage sur les traces de la Bienheureuse Anuarite. Deux aspects de cette ambiance sont surtout à relever ici : le partage d’une profonde dévotion à la très sympathique figure en présence, d’une part ; et l’avènement du jubilé d’or du Martyr de la même Anuarite Nengapeta, d’autre part.

De fait, à l’occasion de commémoration de cet événement le 1er décembre 2014, nous nous sommes réconfortés l’un l’autre à travers une mutuelle et très attentionnée écoute de nos témoignages afférents, des témoignages effectués en prenant la parole soit pour prier, soit pour exhorter les fidèles pèlerins, soit prêcher la Parole de Dieu. L’on aura vraiment connu des occasions rares de communier aux mêmes sentiments.

D’autre part, la célébration du jubilé elle aussi était de nature à renforcer notre mutuel attachement. D’autant plus qu’à l’occasion, eut lieu la pose de la première pierre en démarrage des travaux de construction du grand Sanctuaire sur le site obtenu à cet effet. Ce solennel rassemblement autour de la Bienheureuse M. Clémentine a certainement contribué au renforcement de nos liens de fraternité.

c.      De mon ordination épiscopale

La convivialité épiscopale avait tout d’abord eu à s’éprouver au plus haut degré à l’occasion de mon ordination épiscopale du 19 mars 2003. Cet événement avait été surtout mis en valeur par vous pour exercer votre noble devoir d’aînesse à mon égard et ce, à plus d’un titre. C’est que, à y voir de près, c’est moi qui eus à en tirer plus profit de vous que vous de moi. Je m’explique.

En effet, c’était tout à fait providentiel que j’aie pensé à me faire ordonner par vous, les Prélats suivants : comme consécrateur numéro 1 votre prédécesseur Eminence Frédéric Cardinal ETSOU NZABI BAMUGWABI ; en deuxième Consécrateur vous-même, Eminence Laurent Cardinal Monsengwo Pasinya ; et comme troisième Consécrateur le Nonce Apostolique Mgr Giovanni D’Aniello. Je reçus surtout de vous deux, les premiers consécrateurs, un inoubliable encouragement.

 


Vous m’avez stimulé dans ma mission prophétique par vos propos vigoureux en direction des roitelets qui faisaient saigner le pays. On les avait vu en effet morceler le pays aux fins d’assouvir leur soif de régner en politiciens. Prenant alors en main votre courage vous avez vilipendé ces agissements meurtriers ; sans mâcher vos mots vous les avez vivement interpellés. Leur secousse prophétique se fit à ce point puissant qu’ils finirent par cesser leur sale besogne. De telle sorte que lorsque l’heure du dialogue d’Afrique du Sud sonnera, ils s’y rendirent immédiatement.

Voilà, me venant du fond de cœur, le mot que je tenais à formuler à votre endroit. Je le fais, à cette date de vos obsèques, par devoir d’un témoigne reconnaissant. Surtout que, pour d’invincibles empêchements, je suis, en ce jour, physiquement absent aux côtés de votre vaillant successeur. Il a fallu attester en effet que Vous, Chère Eminence Laurent Cardinal Monsengwo Pasinya, avez été pour mon indigne personne, et sur bien des plans, ce providentiel Grand Frère.

La Sainte Volonté du Maître de la vie a donc eu à vous arracher à chaleur de notre commune amitié : qu’Elle soit faite ! Allez et demeurez en paix, auprès de Celui que vous avez servi fidèlement, assidûment, dignement. Amen.

Isiro, le 21 juillet 2021. 

+ Julien Andavo Bule Ahuba Mbia,

Evêque d’Isiro-Niangara.