Messe de requiem commémorant les victimes des marches pacifiques des chrétiens à Kinshasa du 31 décembre 2017 et du 21
Janvier 2018, et de prière pour la paix en R. D. Congo
(V° DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
B)
(Job 7, 1-7 ; 1Co 1,16-23 ; Mc 1, 29-39)
« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile » (1Co 9, 16) !
L’apôtre Paul atteste que normalement, annoncer la Bonne
Nouvelle au monde n’est pas un avantage,
mais plutôt un service commandé par Dieu
lui-même. La prédication est donc une fonction imposée pour le service des
autres, l’apôtre est un homme pour les autres. Les prédicateurs ne sont que des
serviteurs du Christ, des intendants des mystères de Dieu en lutte à toute
sorte de difficultés.
C’est pourquoi Paul peut se reconnaître « le plus
malheureux des hommes » s’il
n’annonçait pas l’Evangile. Pour lui, savoir qu’il a accompli sa mission ou
s’acquitter du devoir que Dieu lui a confié n’implique pas l’idée d’un salaire
en retour, le vrai salaire est la gratuité. Le prédicateur, dans
l’accomplissement de sa vocation, est gratifié par la joie de partager la
faiblesse des faibles pour gagner les faibles, sans les choquer.
Il y a lieu de
déceler dans la communauté de Corinthe, à laquelle l’Apôtre s’adresse, le signe
d’une déficience et d’une ignorance de
ce qu’est la Sagesse qui éclate dans la croix du Christ, folie et scandale pour
la sagesse humaine (cf. .1 Co 1, 23) et
dans l’humble condition sociale des croyants. Les habitants de Corinthe étaient
divisés en catégories selon les prédicateurs, les doctrines et les mœurs. Les
plus faibles étaient opprimés par les plus forts, les pauvres devenaient de
plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches, le mensonge prenait
le dessus sur la vérité, l’injustice sur la justice. Le clivage entre les
membres de différentes catégories était patent, de telle sorte qu’étaient
compromises, pour l’ensemble du peuple, l’unité interne, la paix et la justice
sociale.
C’est justement dans ce contexte que se situe
pour Saint Paul, à la suite de Jésus et des prophètes, la charge d’annoncer la Bonne Nouvelle qui
réhabilite l’homme dans ses aspirations
profondes et légitimes et, ensuite, de dénoncer
ce qui diminue la dignité de l’homme en tant que créature de Dieu. L’Eglise
Notre Mère, dans sa doctrine sociale, poursuit, elle aussi, cette double
fonction prophétique que je viens d’énoncer et sur laquelle je voudrais
m’attarder dans cette méditation.
1.
Fonction d’annoncer
Notre Seigneur
Jésus Christ, en tant que grand prophète, a inauguré son ministère public après
le baptême par l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Il joignait
les actes aux enseignements. « Il parcourut donc toute la région de
Galilée, proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues, et chassant les
esprits mauvais » (Mc 1, 39). Depuis l’époque des prophètes anciens et
celle de Jésus et de ses disciple, la fonction d’annoncer concourt au salut
intégral de l’homme.
De nos jours, la Bonne
Nouvelle que l’Eglise nous annonce, comporte « une vision globale de l’homme et de l’humanité, à un niveau non seulement
théorique mais aussi pratique » (CDSE,
81 ; Paul VI, Encycl. Populorum
progressio, 13). A travers sa
doctrine sociale qui offre « des explications des significations, des
valeurs et des critères de jugement,… les normes et les directives d’action qui
en découlent, l’Eglise ne poursuit pas des objectifs de structuration ni
d’organisation de la société, mais de sollicitation, d’orientation et de
formation des consciences » (CDSE,81 ;
cf. Paul VI, Lettre Apostolique Octogesima adveniens, 4).
Le Magistère de
l’Eglise exerce la fonction d’annoncer
l’Evangile aux hommes et aux femmes aussi comme « guetteur » de la
société. En toute circonstance, l’Eglise forme, informe et avertit le peuple
sur la marche de la société afin d’éviter un éventuel péril. Car ainsi
prophétisait Ezéchiel « Je ne prends
pas plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à sa conversion, afin qu’il ait
la vie » (Ez 33, 11).
A la suite de Saint
Paul, les ministres ordonnés et les laïcs engagés poursuivent la fonction
d’annoncer la Bonne Nouvelle au monde afin que soit établi l’équilibre social,
que les plus forts respectent les plus faibles, que la justice soit rétablie là
où elle est en crise, que la sécurité et la paix triomphent sur la violence et
l’insécurité, que la vérité règne sur le mensonge,…
2.
Fonction de dénoncer
En dépit de
ministère de l’annonce, qui s’exerce au monde, les gens peuvent avoir encore un
cœur endurci, préférant le mal au bien, les ténèbres à la lumière ; et ils
en arrivent à étaler ce qui contribue à leur perte, au lieu de suivre la voie
du salut. Dans ce contexte s’adresse aux
prédicateurs actuels cet avertissement que fit jadis Yahvé à Ezéchiel : « si je dis au méchant qu’il doit mourir, et que tu ne lui parles pas
pour le mettre en garde contre sa
conduite néfaste, il périra en raison de son péché, mais c’est à toi que je
demanderai compte de son sang. Mais si, après avoir reçu de toi l’avertissement
de changer de conduite, il n’en fait rien, il périra en raison de son péché,
tandis que toi, tu sauveras ta vie… » (Ez 33, 8).
L’Eglise cible pour dénoncer les péchés d’injustice et de violence qui
déséquilibrent souvent toute la société. Cette
dénonciation se fait jugement et défense des droits bafoués et violés, en particulier des droits des
pauvres, des petits, des faibles ; elle s’intensifie d’autant plus que les
injustices et les violences s’étendent, en touchant des catégories entières de
personnes … entraînant ainsi des questions sociales comme des abus et les
déséquilibres qui affligent les sociétés(CDSE,81 ;
cf. Gaudium et spes, 76).
Un malheur peut
s’abattre sur un individu ou sur un groupe de gens comme effet d’une catastrophe
naturelle ou par pure coïncidence des événements, sans que cela ne soit la
conséquence de leur mauvais comportement. Dieu a accepté que Job, le juste
croyant, soit éprouvé, qu’il perde tout
si bien que Job s’exclame : « ma
vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur » (Job 7, 7). Mais puisque dans sa
souffrance il est resté fidèle à Dieu, Job finira par tout récupérer. Tandis
que le roi David, à cause de ses péchés d’infidélité et de meurtre dénoncés par
le prophète Nathan, a attiré le châtiment sur le peuple, le Seigneur envoya la
peste en Israël et pendant trois jours 70.000 hommes moururent (cf. 2S 24, 15).
Le Seigneur mit fin au châtiment à cause de la repentance du roi.
L’intention
principale de la célébration eucharistique, qui nous réunit dans cette église-cathédrale,
près de la Tombe de la Bienheureuse Marie-Clémentine ANUARITE NENGAPETA, est de prier pour nos sœurs et frères qui
sont tombés sous les coups des balles des forces publiques, quand bien même,
avec les insignes de la foi catholique (bible, croix et chapelet), ils
prenaient part à une marche pacifique, réclamant le respect, par les acteurs
politiques, de l’esprit et de la lettre
de l’Accord du 31 Décembre 2016.
Des prêtres et chrétiens ont été molestés, agressés dans les églises pendant la
célébration eucharistique ; du coup, leur piété s’est transformée en larme
sous les effets de gaz lacrymogène.
Voici donc les
péchés de meurtre et de profanation devant lesquels les prédicateurs
d’aujourd’hui ne peuvent se taire sous peine de se reconnaître les « plus
malheureux des hommes ». Que Dieu
miséricordieux accueille dans sa demeure éternelle les victimes de cette
violence ! En plus, étant donné que nous prions aussi pour la paix
dans notre pays, ce « don de Dieu Très Aimant », en tant que guetteur
des circonstances, pour une nation réconciliée dans la justice et dans l’amour,
je fais monter vers le Seigneur ces supplications, avant de terminer :
Que les congolais
(dirigeants et dirigés) écoutent et observent les instructions et les avertissements
que Dieu leur adresse par les prophètes actuels ;
Que le Seigneur
soutiennent les efforts de ceux qui luttent pour protéger l’intégrité du
territoire national et établir la paix pour tous ;
La vie étant
sacrée, épargne-nous Seigneur de toute sorte de violence qui occasionne des
pertes en vies humaines ;
Que des nombreux
prédicateurs qui parcourent le pays n’accomplissent pas leur mission plus dans
la recherche du alaire matériel, mais en toute circonstance, qu’ils partagent
la misère des faibles afin de les gagner
au Christ ;
Pour
l’établissement d’un Etat de droit que ceux qui gèrent la chose publique à tous
les niveaux, respectent la Constitution
du pays et l’Accord de la Saint Sylvestre.
POUR CONLURE
En conclusion,
permettez-moi de tenter une qualification de l’action comme celle du laïcat
catholique de notre pays, à partir des faits sociaux qui sautent aux yeux.
Ladite action du
laïcat catholique a pour motivation essentielle, soulignons-le avec force, non
la lutte contre des personnes individuelles mais bien la mise en question
radicale d’un système politique profondément vicié. Ce système mérite la
qualification relevée pour les raisons suivantes, présentées de façon ramassée ;
c’est un système basé sur : a) des contre-vérités notoires ; b) un
passé historique volontairement non élucidé ; c) des méfaits évidents.
a.
Des contre-vérités notoires
Nombreuses sont les
contre-vérités auxquelles je pense ici. Parmi elles, l’on peut noter
spontanément l’assertion selon laquelle le clergé n’aurait absolument pas à
jouer un rôle à caractère administrativo-politique ; sa mission se
confinerait strictement aux quatre murs de la sacristie !... Tenir pareil
propos, c’est ni plus ni moins fermer volontairement les yeux entre autres sur le
rôle du prélat Laurent MONSENGWO lors de la Conférence nationale qui a pesé du
poids indéniable sur le processus de la démocratisation du pays. D’autre part,
quel rôle éminent la CENCO n’a-t-elle pas joué dernièrement dans l’accouchement
de l’Accord inclusif de la Saint Sylvestre, cet accord sur le quel jurent tous
les tenants et aboutissants actuels de la politique en notre pays ?
b.
Du passé historique non élucidé
Par la
considération dite « passé historique non élucidé » je voudrais tout
simplement me référer au passé de certaines personnalités politiques aux
affaires actuellement au pays, mais ailleurs que dans l’ex-Province Orientale.
Ces personnalités se sont très négativement illustrées par le passé dans cette
contrée. Il suffit de penser, à ce propos, à la rébellion
« muleliste » de 1963-64 qui se résolut à décapiter les leaders
intellectuels de la partie appelée à l’époque « Province
Orientale » ; ce qui constitue, à n’en point douter, une énième
contre-vérité flagrante.
c.
Des méfaits évidents
Le système
politique stigmatisé secrète enfin des méfaits qui crèvent les yeux. En fait de
tels méfaits, il n’y a qu’à évoquer notamment : le manque cruel de plan
gouvernemental dans l’état actuel des choses au profit d’un dévoreur
trafic d’influences ; la clochardisation – régnant un peu partout dans le
pays – des forces armées et policières, en faisant de celles-ci des perpétuelles
quémandeuses (« OPESA MAI YA KOMELA » ; « OPESA
RAPPORT »…. Etc)
Bref prions le
Seigneur d’accueillir dans son repos éternel nos frères et sœurs dont l’intention principale nous réunit en ce
dimanche. Prions pour notre cher pays, qui ne fait que descendre à petits pas
dans les enfers du fait de la mauvaise foi de certains de ses fils et
filles ; prions pour la conversion radicale de ces derniers ! Prions enfin
pour nous tous ici rassemblés afin que notre action future soit toujours
motivée par la recherche de la « Vérité » vraie, laquelle a été témoignée
de façon éclatante par Jésus Christ en personne. Car c’est elle seule qui rend
vraiment libre (cf. Jn 8, 32). Amen.
Isiro, le 04/02/2018

+ Julien Andavo MBIA,
Evêque d’Isiro-Niangara