jeudi 17 mai 2018

« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile » (1Co 9, 16) !


Messe de requiem commémorant  les victimes des marches pacifiques des chrétiens à Kinshasa du 31 décembre 2017 et du 21 Janvier 2018, et de prière pour la paix en R. D. Congo

(V° DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE B)
(Job 7, 1-7 ; 1Co 1,16-23 ; Mc 1, 29-39)


« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile » (1Co 9, 16) ! 
L’apôtre Paul  atteste que normalement, annoncer la Bonne Nouvelle au monde  n’est pas un avantage, mais  plutôt un service commandé par Dieu lui-même. La prédication est donc une fonction imposée pour le service des autres, l’apôtre est un homme pour les autres. Les prédicateurs ne sont que des serviteurs du Christ, des intendants des mystères de Dieu en lutte à toute sorte de difficultés.
C’est pourquoi  Paul peut se reconnaître « le plus malheureux des hommes »  s’il n’annonçait pas l’Evangile. Pour lui, savoir qu’il a accompli sa mission ou s’acquitter du devoir que Dieu lui a confié n’implique pas l’idée d’un salaire en retour, le vrai salaire est la gratuité. Le prédicateur, dans l’accomplissement de sa vocation, est gratifié par la joie de partager la faiblesse des faibles pour gagner les faibles, sans les choquer. 
Il y a lieu de déceler dans la communauté de Corinthe, à laquelle l’Apôtre s’adresse, le signe d’une déficience et  d’une ignorance de ce qu’est la Sagesse qui éclate dans la croix du Christ, folie et scandale pour la sagesse humaine (cf. .1 Co 1, 23)  et dans l’humble condition sociale des croyants. Les habitants de Corinthe étaient divisés en catégories selon les prédicateurs, les doctrines et les mœurs. Les plus faibles étaient opprimés par les plus forts, les pauvres devenaient de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches, le mensonge prenait le dessus sur la vérité, l’injustice sur la justice. Le clivage entre les membres de différentes catégories était patent, de telle sorte qu’étaient compromises, pour l’ensemble du peuple, l’unité interne, la paix et la justice sociale.
 C’est justement dans ce contexte que se situe pour Saint Paul, à la suite de Jésus et des prophètes, la charge d’annoncer la Bonne Nouvelle qui réhabilite  l’homme dans ses aspirations profondes et légitimes et, ensuite, de dénoncer ce qui diminue la dignité de l’homme en tant que créature de Dieu. L’Eglise Notre Mère, dans sa doctrine sociale, poursuit, elle aussi, cette double fonction prophétique que je viens d’énoncer et sur laquelle je voudrais m’attarder dans cette méditation.

1.    Fonction d’annoncer

Notre Seigneur Jésus Christ, en tant que grand prophète, a inauguré son ministère public après le baptême par l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu. Il joignait les actes aux enseignements. « Il parcourut donc toute la région de Galilée, proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues, et chassant les esprits mauvais » (Mc 1, 39). Depuis l’époque des prophètes anciens et celle de Jésus et de ses disciple, la fonction d’annoncer concourt au salut intégral de l’homme.
De nos jours, la Bonne Nouvelle que l’Eglise nous annonce, comporte « une vision globale de l’homme et de l’humanité, à un niveau non seulement théorique mais aussi pratique » (CDSE, 81 ; Paul VI, Encycl. Populorum progressio, 13). A travers sa doctrine sociale qui offre « des explications des significations, des valeurs et des critères de jugement,… les normes et les directives d’action qui en découlent, l’Eglise ne poursuit pas des objectifs de structuration ni d’organisation de la société, mais de sollicitation, d’orientation et de formation des consciences » (CDSE,81 ; cf. Paul VI, Lettre Apostolique Octogesima adveniens, 4).
Le Magistère de l’Eglise  exerce la fonction d’annoncer l’Evangile aux hommes et aux femmes aussi comme «  guetteur » de la société. En toute circonstance, l’Eglise forme, informe et avertit le peuple sur la marche de la société afin d’éviter un éventuel péril. Car ainsi prophétisait Ezéchiel « Je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à sa conversion, afin qu’il ait la vie » (Ez 33, 11).
A la suite de Saint Paul, les ministres ordonnés et les laïcs engagés poursuivent la fonction d’annoncer la Bonne Nouvelle au monde afin que soit établi l’équilibre social, que les plus forts respectent les plus faibles, que la justice soit rétablie là où elle est en crise, que la sécurité et la paix triomphent sur la violence et l’insécurité, que la vérité règne sur le mensonge,…

2.    Fonction de dénoncer

En dépit de ministère de l’annonce, qui s’exerce au monde, les gens peuvent avoir encore un cœur endurci, préférant le mal au bien, les ténèbres à la lumière ; et ils en arrivent à étaler ce qui contribue à leur perte, au lieu de suivre la voie du  salut. Dans ce contexte s’adresse aux prédicateurs actuels cet avertissement que fit jadis Yahvé à Ezéchiel : « si je dis au méchant qu’il doit mourir, et que tu ne lui parles pas pour le mettre  en garde contre sa conduite néfaste, il périra en raison de son péché, mais c’est à toi que je demanderai compte de son sang. Mais si, après avoir reçu de toi l’avertissement de changer de conduite, il n’en fait rien, il périra en raison de son péché, tandis que toi, tu sauveras ta vie… » (Ez 33, 8).
 L’Eglise cible pour dénoncer les péchés d’injustice et de violence qui déséquilibrent souvent toute la société. Cette dénonciation se fait jugement et défense des droits bafoués  et violés, en particulier des droits des pauvres, des petits, des faibles ; elle s’intensifie d’autant plus que les injustices et les violences s’étendent, en touchant des catégories entières de personnes … entraînant ainsi des questions sociales comme des abus et les déséquilibres qui affligent les  sociétés(CDSE,81 ; cf. Gaudium et spes, 76).
Un malheur peut s’abattre sur un individu ou sur un groupe de gens comme effet d’une catastrophe naturelle ou par pure coïncidence des événements, sans que cela ne soit la conséquence de leur mauvais comportement. Dieu a accepté que Job, le juste croyant,  soit éprouvé, qu’il perde tout si bien que Job s’exclame : « ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur » (Job 7, 7). Mais puisque dans sa souffrance il est resté fidèle à Dieu, Job finira par tout récupérer. Tandis que le roi David, à cause de ses péchés d’infidélité et de meurtre dénoncés par le prophète Nathan, a attiré le châtiment sur le peuple, le Seigneur envoya la peste en Israël et pendant trois jours 70.000 hommes moururent (cf. 2S 24, 15). Le Seigneur mit fin au châtiment à cause de la repentance du roi.

L’intention principale de la célébration eucharistique, qui nous réunit dans cette église-cathédrale, près de la Tombe de la Bienheureuse Marie-Clémentine ANUARITE NENGAPETA, est de prier pour nos sœurs et frères qui sont tombés sous les coups des balles des forces publiques, quand bien même, avec les insignes de la foi catholique (bible, croix et chapelet), ils prenaient part à une marche pacifique, réclamant le respect, par les acteurs politiques, de l’esprit et de la lettre de l’Accord du 31 Décembre 2016. Des prêtres et chrétiens ont été molestés, agressés dans les églises pendant la célébration eucharistique ; du coup, leur piété s’est transformée en larme sous les effets de gaz lacrymogène.
Voici donc les péchés de meurtre et de profanation devant lesquels les prédicateurs d’aujourd’hui ne peuvent se taire sous peine de se reconnaître les « plus malheureux des hommes ». Que Dieu miséricordieux accueille dans sa demeure éternelle les victimes de cette violence ! En plus, étant donné que nous prions aussi pour la paix dans notre pays, ce « don de Dieu Très Aimant », en tant que guetteur des circonstances, pour une nation réconciliée dans la justice et dans l’amour, je fais monter vers le Seigneur ces supplications, avant de terminer :
Que les congolais (dirigeants et dirigés) écoutent et observent les instructions et les avertissements que Dieu leur adresse par les prophètes actuels ;
Que le Seigneur soutiennent les efforts de ceux qui luttent pour protéger l’intégrité du territoire national et établir la paix pour tous ;
La vie étant sacrée, épargne-nous Seigneur de toute sorte de violence qui occasionne des pertes en vies humaines ;
Que des nombreux prédicateurs qui parcourent le pays n’accomplissent pas leur mission plus dans la recherche du alaire matériel, mais en toute circonstance, qu’ils partagent la misère  des faibles afin de les gagner au Christ ;
Pour l’établissement d’un Etat de droit que ceux qui gèrent la chose publique à tous les niveaux, respectent la Constitution du pays et l’Accord de la Saint Sylvestre.

POUR CONLURE

En conclusion, permettez-moi de tenter une qualification de l’action comme celle du laïcat catholique de notre pays, à partir des faits sociaux qui sautent aux yeux.
Ladite action du laïcat catholique a pour motivation essentielle, soulignons-le avec force, non la lutte contre des personnes individuelles mais bien la mise en question radicale d’un système politique profondément vicié. Ce système mérite la qualification relevée pour les raisons suivantes, présentées de façon ramassée ; c’est un système basé sur : a) des contre-vérités notoires ; b) un passé historique volontairement non élucidé ; c) des méfaits évidents.
a.     Des contre-vérités notoires

Nombreuses sont les contre-vérités auxquelles je pense ici. Parmi elles, l’on peut noter spontanément l’assertion selon laquelle le clergé n’aurait absolument pas à jouer un rôle à caractère administrativo-politique ; sa mission se confinerait strictement aux quatre murs de la sacristie !... Tenir pareil propos, c’est ni plus ni moins fermer volontairement les yeux entre autres sur le rôle du prélat Laurent MONSENGWO lors de la Conférence nationale qui a pesé du poids indéniable sur le processus de la démocratisation du pays. D’autre part, quel rôle éminent la CENCO n’a-t-elle pas joué dernièrement dans l’accouchement de l’Accord inclusif de la Saint Sylvestre, cet accord sur le quel jurent tous les tenants et aboutissants actuels de la politique  en notre pays ?
b.    Du passé historique non élucidé

Par la considération dite « passé historique non élucidé » je voudrais tout simplement me référer au passé de certaines personnalités politiques aux affaires actuellement au pays, mais ailleurs que dans l’ex-Province Orientale. Ces personnalités se sont très négativement illustrées par le passé dans cette contrée. Il suffit de penser, à ce propos, à la rébellion « muleliste » de 1963-64 qui se résolut à décapiter les leaders intellectuels de la partie appelée à l’époque « Province Orientale » ; ce qui constitue, à n’en point douter, une énième contre-vérité flagrante.
c.     Des méfaits évidents

Le système politique stigmatisé secrète enfin des méfaits qui crèvent les yeux. En fait de tels méfaits, il n’y a qu’à évoquer  notamment : le manque cruel de plan gouvernemental dans l’état actuel des choses  au profit d’un dévoreur trafic d’influences ; la clochardisation – régnant un peu partout dans le pays – des forces armées et policières, en faisant de celles-ci des perpétuelles quémandeuses (« OPESA MAI YA KOMELA » ; « OPESA RAPPORT »…. Etc)

Bref prions le Seigneur d’accueillir dans son repos éternel nos frères et sœurs  dont l’intention principale nous réunit en ce dimanche. Prions pour notre cher pays, qui ne fait que descendre à petits pas dans les enfers du fait de la mauvaise foi de certains de ses fils et filles ; prions pour la conversion radicale de ces derniers ! Prions enfin pour nous tous ici rassemblés afin que notre action future soit toujours motivée par la recherche de la « Vérité » vraie, laquelle a été témoignée de façon éclatante par Jésus Christ en personne. Car c’est elle seule qui rend vraiment libre (cf. Jn 8, 32). Amen.

Isiro, le 04/02/2018
+ Julien Andavo MBIA,
Evêque d’Isiro-Niangara